Rencontre avec Yvon Chouinard: Patagonia. ITW

Article du Nouvel Observateur du 01/04/10:
Patagonia est une icône. Avec sa société californienne d'équipements de sport, Yvon Chouinard a su construire une marque mondiale synonyme d'éthique et de respect de l'environnement.

On a patienté. Des mois. On a plaidé, cajolé, supplié… Et puis le jour J est arrivé. Sous un beau soleil de Californie, on s'est garé sur le parking de la société à côté de 4x4 gloutons (personne n'est parfait). On avait rendez-vous avec un mythe : un alpiniste devenu l'un des entrepreneurs les plus admirés de tout le pays. On s'attendait à tomber sur une diva. On s'est trompé sur toute la ligne : Yvon Chouinard est un petit bonhomme au visage rond sans prétention. Il vous tend une main franche, se fend d'un sourire précis et s'assied à une table posée là, au beau milieu de la pièce, pour vous parler. Ou vous écouter. En un coup d'oeil, il vous a jaugé.
Patagonia. Un seul mot et la machine à rêves s'emballe : les montagnes, les immenses prairies d'Argentine et du Chili. La nature inviolée… Dans un plan marketing idéal, un cadre génial aurait trouvé ce nom pour une entreprise de fringues au parfum écolo. Mais il s'agit d'Yvon Chouinard et Patagonia ne doit rien au marketing.
Ce fils de Québécois, débarqué en Californie à l'âge de 7 ans, est devenu un alpiniste chevronné grâce à sa passion pour l'observation des faucons. Ce pionnier des à-pics de Yosemite et spécialiste de l'escalade sur glace était tout sauf un entrepreneur… Sauf qu'à 18 ans il emprunte 825 dollars à son maréchal-ferrant de père et achète du matériel de forge, histoire de fabriquer des pitons plus solides qu'il vend ici ou là aux copains et aux copains de copains pour financer sa grimpe.
Nous sommes en 1968 quand il s'embarque pour un voyage de six mois de Ventura, au nord de Los Angeles, jusqu'à la pointe sud de l'Amérique latine. Chouinard Equipment n'est alors qu'une petite boîte de matériel d'alpinisme. Pas grand-chose, vraiment. Mais ce voyage le marquera pour la vie. Parti aventurier, il revient écolo. Yvon surfe tout le long de la côte pacifique jusqu'à Lima, descend à ski des volcans au Chili, escalade le mont Fitz-Roy en Patagonie. Il n'oubliera ni le nom ni l'endroit. Deux ans plus tard, il rapporte d'une expédition en Ecosse des polos de rubgy bariolés et costauds, parfaits pour l'alpinisme. Ses amis se les arrachent, le malin Chouinard prend bonne note. En 1973, il fonde Patagonia…

Une entreprise verte modèle
Trente-sept ans ont passé. Aux Etats-Unis, Patagonia est devenue une marque presque aussi connue que Coca-Cola, mais avec une éthique aux antipodes. Des vêtements outdoor bien coupés, aux couleurs vives, d'excellente qualité. Plus chers que la moyenne, mais aussi plus durables… Mis à part un flirt avec la faillite en 1991-1992, quand la Mafia propose à Chouinard de le dépanner («Ils voulaient me prêter à 28% d'intérêt, j'ai dit non. Quand on y pense, c'est ce que chargent aujourd'hui les cartes de crédit !»), Patagonia est une success story sans faille : 240 millions d'euros de chiffre d'affaires, une cinquantaine de magasins en nom propre, 1250 salariés qui en font rêver des dizaines de milliers d'autres (plus de 900 candidats pour un job), et surtout une réputation écologique modèle. Car si Patagonia a évolué, Chouinard, lui, est resté fidèle à ses convictions. Très pessimiste sur l'état de la planète (voir encadré), il a depuis le début décidé de faire de Patagonia une entreprise verte modèle. Une slow company.
Dès 1993, la marque lance sa fameuse ligne de vêtements en Synchilla, une matière synthétique faite de bouteilles en plastique recyclées. Depuis, près de 100 millions de bouteilles ont fini en pulls polaires. En 1994, horrifié par l'impact environnemental de la culture du coton, Chouinard est le premier à lancer les vêtements en coton bio à grande échelle, quitte à sacrifier au passage une partie de son chiffre d'affaires. «J'ai dû me porter cogarant d'emprunts pour les agriculteurs, trouver des fournisseurs capables de filer le coton, raconte-t-il. Personne ne voulait se prendre la tête avec ça !»
Pionnier du business vert, Patagonia semble toujours avoir un coup d'avance. Pendant qu'elle conseille le géant Wal-Mart sur sa stratégie pour « verdir », elle pousse toujours plus loin sa philosophie. Chez Patagonia, vous n'entendrez pas souvent parler de client roi, mais plutôt d'acheteurs qu'il faut « éduquer». «Nous tâchons, dit le PDG, de guider les gens en leur disant : «Essayez de ne pas acheter nos produits, à moins d'en avoir vraiment besoin. Et si vous achetez quelque chose qui casse ou se déchire, nous le réparerons. Si vous vous lassez du produit, ou de la couleur, ne le jetez pas, si vous ne savez qu'en faire, nous vous aiderons à trouver un nouveau propriétaire. Et si le produit est vraiment en fin de course, redonnez-le-nous Si c'est du polyester, nous le recyclerons pour fabriquer d'autres vêtements ; si c'est du coton, de la laine ou du chanvre, nous le réutiliserons.» »
Chouinard le frugal qui achète ses jeans à 8 dollars chez Wal-Mart n'a pas tout inventé. Esprit, la marque fondée par son vieux complice Doug Tompkins, avait lancé en 1990 la campagne « N'achetez que ce dont vous avez besoin ». Mais personne n'est allé aussi loin, en pratique, dans cette voie. Et peu de patrons ont autant contribué à la cause de l'environnement : Chouinard a cofondé en 2001 le mouvement 1% pour la Planète, qui regroupe 1242 entreprises s'engageant à verser aux causes environnementales 1 % de leur chiffre d'affaires.

Une marque très mode
Le paradoxe est que l'aura écolo de Patagonia en a fait une marque très mode dans les beaux quartiers : les golden boys, que Chouinard abhorre, se précipitent dans ses magasins, que certains ont ironiquement rebaptisés « Patagucci » ou « Pradagonia ». Le PDG reconnaît la contradiction, mais se défend d'être un hypocrite : ««Vogue» m'appelle, ils me disent : «Oh, my God ! vous ne le croirez pas : Naomi, Kate… elles portent toutes votre gilet noir en duvet. Quel est votre secret ?» Je n'en ai aucune idée ! On ne donne pas nos produits aux mannequins, on dépense seulement 0,5% de notre chiffre d'affaires en pub… et sûrement pas dans «Vogue» !» Il se marre, ravi de son coup. Chouinard, en fait, est resté un artisan qui se fout du «niveau de prix souhaitable» mais reste obsédé par la qualité. Il a le chic pour regarder n'importe quel produit et trouver le moyen de l'améliorer. Il n'aime pas gérer les hommes - il passe des mois à barouder dans le monde, loin du siège de Ventura -, mais cela ne l'empêche pas d'être exigeant. Il déteste les excuses bidon des paresseux.
Tout succès d'entreprise repose, in fine, sur une originalité. C'est ce qui fait la force de cet homme pour qui l'aventure ne commence que lorsque les emmerdes apparaissent. Il veut que Patagonia reste en « yarak », un terme de fauconnerie qui décrit le poids idéal d'un oiseau : assez élevé pour qu'il ne meure pas, mais suffisamment léger pour rester alerte. Affamé sans être affaibli. Il veut avant tout que son entreprise reste imaginative, créative. «Les sociétés cotées, esclaves de leurs actionnaires, sont extraordinairement conservatrices », dit-il. Lui n'a pas ce souci-là. Il fait ce qu'il veut, quand il veut, comme il veut. Sur les cimes de Patagonia, à 71 ans, Yvon Chouinard respire à pleins poumons. C'est beau, la liberté.

Philippe Boulet-Gercourt
Parlez-vous le Chouinard ?

Capitaliste iconoclaste. « Certains aspects du capitalisme sont bons. Le mal, ce sont les sociétés cotées en Bourse : parce qu'elles ont vendu leurs actions à un prix insensé, elles sont forcées de croître, croître, croître. Si je vendais Patagonia demain dans une transaction privée, je pourrais en tirer peut-être 8, voire 1 0 fois le montant des bénéfices. Mais si j'introduisais Patagonia en Bourse, je pourrais la vendre 40 fois ses bénéfices ! Les boursiers regarderaient ma société et diraient : «Oh, mais cette boîte est très sous-évaluée, nous pouvons la développer exponentiellement !» Mais vous savez quoi ? Mon entreprise ne vaut pas 40 fois ses bénéfices. Ou alors il faudrait qu'elle croisse de 15 % à 20 % par an, et qu'au passage elle perde son âme.»

Libertaire. « Les gouvernements sont incapables de résoudre nos problèmes : voyez le désastre absolu qu'a été Copenhague. Je préfère cette idée américaine qu'est la philanthropie : ma femme et moi donnons près de la moitié de notre salaire aux ONG. Tout ce qui s'est fait de bon en Amérique est parti de la société civile. C'est comme cela que nous accomplissons des choses. »

Pessimiste optimiste. « Nous sommes en train de détruire la planète : toutes les indications vont dans ce sens. Mais pourquoi me jeter par la fenêtre ? Nous savons tous que nous allons mourir mais nous ne nous suicidons pas. Je suis quelqu'un d'heureux : j'essaie de faire ce que je peux sans être trop optimiste ni fanatique. Cela fait des années que je n'ai pas acheté de viande, mais si quelqu'un m'invite à dîner et m'offre un steak, je le mange ! Je ne veux pas être l'emmerdeur de service. »

Manager. «Je suis un gestionnaire épouvantable. Je n'aime pas que l'on me dise ce qu'il faut faire, et je n'aime pas dire à quelqu'un ce qu'il doit faire. Je préfère être le philosophe de la compagnie. La chose la plus importante dans le management, c'est d'embaucher les bonnes personnes aux bons postes. Chez Patagonia, les salariés sont très indépendants. »

Récessions. « J'adore les récessions. Le client devient très conservateur : il n'achète plus la mode mais un produit un peu plus cher qui lui durera longtemps. Nous venons de connaître les deux meilleures années de notre histoire, c'est dingue ! »

Zen. « J'essaie de simplifier ma vie. Mais c'est si dur ! Je me sépare de ce dont je n'ai plus besoin, par exemple je suis en train de donner ce qui reste de ma bibliothèque de livres d'alpinisme. Je me prépare doucement : dans l'idéal, j'aimerais mourir avec rien. Le pire est de claquer avec 5 000 bouteilles entreposées dans votre cave. Quel gâchis ! »

Philippe Boulet-Gercourt
Fletcher le surfeur

Gone surfing. Fletcher n'est pas là, il est encore parti tester ses planches de surf. Dur métier… Le voilà qui finalement gare son van, la combinaison dégoulinante, devant le bâtiment de Fletcher Chouinard Designs. Derrière son sourire de doux rêveur, le fils Chouinard est un artisan passionné, comme son père. Son truc, ce sont les planches de surf qu'il «met en forme» : deux bonnes douzaines qu'il taille chaque semaine avec un oeil incomparable. Avec huit employés, Fletcher Chouinard Designs n'est que l'ombre de la maison mère, de l'autre côté du parking. Mais elle rend Patagonia crédible dans le petit monde du surf, qui représente déjà plus de 10 % de ses ventes avec, entre autres, des combinaisons plus chaudes, plus écolos et plus solides.
Les planches de Fletcher sont elles aussi «plus «vertes» et plus durables», dit-il. Durables ? « Vous achetez une planche. Vous l'aimez. Elle se brise. Vous pleurez !» Fletcher est plus poète que manager. «Le business, ce n'est pas trop mon truc», avoue-t-il. Caire, sa petite soeur, aurait plus la tripe entrepreneuse. Mais chut ! La succession chez Patagonia est un sujet tabou.

Lien article du NOUVEL OBSERVATEUR

Yvon Chouinard est "un grand Monsieur".

Patagonia a fabriqué en aluminium des fixations norme 75 (C'étaient celles que j'avais sur mes premiers skis de telemark).

Yvon Chouinard a pratiqué le telemark et la randonnée nordique, ou plutôt de la randonnée, car pendant très longtemps aux USA, le seul matériel de randonnée était le matériel de randonnée nordique et de telemark.

Des skis ont même été vendus sous la marque Chouinard, Black Diamond ou Patagonia.

J'ai acheté mes Riva3 chez Patagonia à Chamonix.

Yvon Chouinard a préfacé la bible du telemark écrite par Paul Parker : "Free Heel Skiing, Telemark and Parallel Techniques".

Et puis Yvon Chouinard a tout compris quand il propose de fabriquer du matériel durable à l'heure où trop de fabricants font du jetable.

Découvrez aussi sa remarquable vision du management :