Encore la baie de Disko

Si ca peut servir à quelqu'un, un CR d'un nouveau voyage à Disko.
Préparatifs
Cette année la rando nordique aura lieu au Spitzberg, nous sommes décidés ! C’est facile d’accès, avec des reliefs arrondis idéals pour le ski nordique. Nous nous lançons dans les démarches et les préparations. Reste le problème des ours qui nous inquiète. Nous prendrons toutes les précautions : on louera un chien, on mettra une clôture électrique, une alarme et on fera des tours de garde. Les billets sont pris, tout est prêt. Puis vient la partie pratique, aucun chien n’est disponible, les essais d’électrificateur pour bétail ne sont pas concluants lorsque la prise de terre est dans la glace ou la neige très poudreuse, l’alarme qui est un carillon de sonnette ne fonctionne pas au congélateur et les tours de garde à trois par -20°C ou plus semblent un peu irréalisables.
Remise en question….en nous renseignant nous apprenons que les billets SAS Plus qui donnent droit à deux bagages en soute sont remboursables intégralement et sans frais. Nous remarquons que la baie de Disko est déjà bien remplie de glace pour un mois de décembre. Ravi de mon voyage l’année dernière là-bas, je convaincs (facilement) donc mes compagnons de s’y rendre au mois de mars. Nous laissons tomber le Spitzberg.
Nous partirons donc à trois à Ilulissat les 15 premiers de mars 2017. Particularité pour cette année, je ne connais pas mes compagnons. Un ami commun nous a mis en relation mais c’est à l’aéroport que nous nous verrons pour la première fois. Ce voyage sera leur première randonnée nordique.
On achète les billets en décembre, Geneve Copenhague avec SAS et Copenhague – Ilulissat avec Air Greenland avec une nuit à l’hôtel à Copenhague à l’aller comme au retour.

Jour 1
Voyage sans encombre, la pesée des bagages affiche 62 kilos pour 60 autorisés (« it’s ok » nous dit le guichetier).
Arrivés sur place à 14h, nous déballons les pulkas et les skis. Mauvaise surprise, un des skis, la fixation (NNBC auto) est cassée. Finalement, il s’agit de toute la partie plastique (de protection et d’habillement) qui est foutue. L’amortisseur ne tient plus dans son logement. Mais la structure fonctionnelle métallique semble intacte, nous ferons avec!


Nous filons en ville à ski dans l’idée de boucler les courses et de s’éloigner de la ville pour camper.
Nous faisons tous nos achats au Pisiffik avec notamment pour 14 jours : 1.5 kg de confiture, 300 tranches de pain noir, 7 kilos de fromage, 2 kilos de beurre, 4,5 kilos de flocons d’avoine, des gâteaux, du chocolat… Pour le soir nous avons emmené de France 3 kilos de semoule (7 repas/personne) que nous complétons par 4 repas de pates chinoises et deux repas de purée. Gros problème : nous avons deux réchauds, un à essence et un à alcool à brûler et il n’ya du carburant pour aucun des deux ! Nous sillonnons toutes les « grandes surfaces », les épiceries, les stations service mais rien n’est concluant, ni alcool ni essence C. Il est 22 h tout commence à fermer, nous sommes crevés par le voyage et le décalage, il fait -20°C et nous n’avons pas de carburant. Partir avec de l’essence sans plomb et un seul réchaud à essence ne serait pas prudent. Nous montons la tente à côté de la ville après un bon hot dog en espérant trouver une solution le lendemain.

Jour 2
Grand soleil.
Réveil brutal par des aboiements, des chiens détachés entourent la tente. Nous sortons chacun notre tour pour les tenir à distance des pulkas. Nous étions peut être un peu trop proches des maisons.
Nous retournons en ville toujours dépités où nous errons à la recherche de carburant. Puis par hasard (ou par miracle) nous croisons un français qui nous dit voyager avec Julien (français résident sur place) avec qui j’avais échangé sur l’itinéraire avant mon départ. Il nous communique son numéro de téléphone et après un coup de fil salvateur à Julien nous partons au Stark (ou Mr Bricolage). Après coup il était évident qu’il devait y avoir un magasin de bricolage mais nous étions focalisés sur les magasins alimentaires ! Bref, nous trouvons toutnotre bonheur, benzine, alcool… Nous prenons 15 litres d’alcool et 4 litres d’essence. Nous ignorons encore si c’est la joie d’avoir enfin du carburant qui nous a fait prendre une telle quantité pour 14 jours ! Nous reviendrons avec 7 litres d’alcool et 1 litre d’essence… Une belle surestimation.
Il est 11 heures et nous pensons partir, mais le téléphone portable sonne, c’est Julien qui nous dit que la piste d’accès au plateau est bloquée pour cause de course de traineau (championnat national).
Après échange avec les organisateurs, nous pourrons passez dès 14 h. Nous nous installons avec les spectateurs pour regarder cette fameuse course.

14h30 nous partons, avec pour objectif final, le glacier Eqip à 90 km au nord de la ville.
Bivouac au milieu du plateau d’accès au fjord Sikuiutsoq.

Jour 3
Nuageux.
Grosse étape pour rattraper le retard. Les automatismes se mettent en place, le camp est levé rapidement. Petite surprise au pique nique, le sac de sandwiches a disparu, je l’ai effectivement oublié à l’endroit où j’ai enlevé une couche. Il faut donc ouvrir toutes les pulkas pour accéder au beurre, au pain, au fromage et refaire tous les sandwiches….
Nous retrouvons Julien aux cabanes du front du glacier Avannarleq. Lui va à Ummanaq en traineau à chiens, nous avons donc une bonne partie commune et nous pourrons suivre ses traces. Une nouvelle fois, il nous tuyaute bien sur les passes pour changer de fjord et sur l’état la banquise.



Jour 4
Grand soleil.
Etape montagneuse pour changer de fjord et gagner le fjord Paakitsup. On traverse le grand lac de Tasersuaq pour filer plein Est dans une gorge qui nous mène à la grande descente sur le fjord. Julien nous double, nous ne croiserons plus personne les 9 prochains jours…


Bivouac sur le plateau face à la calotte. Il fait -35°C.

On découvre les limites de notre équipement : les fermetures éclair de la chambre de la tente et du double toit ne fonctionnent plus (alors qu’elles avaient été vérifiées en avant le départ), il faut les préchauffer au briquet et les beurrer avant de s’en servir, les tirettes métalliques des fermetures éclair des chaussures BCX6 2017 de Fisher, neuves de trois jours, cassent et des trous apparaissent au niveau de la zone de flexion des chaussures BCX6 2016 de Fisher, neuves aussi de trois jours. Nous sommes en fixation NNN BC et l’un d’entre nous a la version Auto : impossible de déchausser il faut verser du thé chaud dessus puis rentrer les skis dans la tente pour les faire dégeler. Très pratique.

Jour 5
Grand soleil.
Grosse descente dès le réveil. Et longue traversée du Paakitsup.

Des sastrugi rendent cette traversée pas très skiante. En revanche, c’est sublime, des hautes murailles entourent le fjord. Il fait un froid glacial.


Nous campons au milieu de la passe qui permet de rejoindre le fjord Kangerluarsuk.


Il fait toujours -35°C. Il faut raccourcir l’élastique des arceaux de la tente. Toujours sympa de faire des nœuds à main nues par -30. Tout est gelé, pain, salami, fromage, confiture, seuls le beurre et le dentifrice résistent. Des aurores éclairent le ciel. La nuit est froide, nous mettons toutes les couches possibles et dormons avec le masque.
Jour 6
Grand soleil.
Etape de montagne. La levée du camp est horrible il fait vraiment froid. Nous montons à un petit col entre deux lacs en suivant les traces de Julien. La descente sur le fjord se termine par 10 mètres assez verticaux en rocher pour finir sur une rivière en glace vive. C’est folklo mais très joli.


Enfin on débouche sur le fjord tout plat.

La vue porte loin c’est immense et même un peu déprimant quand après 3 heures de skis rien ne semble avoir changé.
Au moins nous avons le temps de faire connaissance. Nous bivouaquons dans un bras du fjord : Qaanngulik. Il fait -38°C. C’est la troisième nuit en dessous de -35 et cela ce fait sentir.

La fermeture éclair de la porte avant de la chambre de la tente rend l’âme, nous la calfeutrons avec le tapis de sol de secours. Celle à l’arrière fonctionne à grand renfort de beurre, crème hydratante et briquet. Les peaux de phoques ne collent pas, les fixations auto sont constamment gelées, les rondelles des bâtons cassent, il faut encore raccourcir les élastiques des arceaux… Grosse concertation, nous avions prévu d’atteindre Eqip par le grand fjord d’Ataa et d’en revenir par les montagnes de Timaani Inussuit mais camper dans ces conditions est un peu rude. Il faut que cela reste des vacances !! Nous décidons donc de faire un camp de base de 3 jours à cet endroit et d’atteindre la muraille d’Eqip en aller retour sans les pulkas puis d’aller voir le grand fjord d’Ataa toujours à la journée sans les pulkas également.


Jour 7
Nuageux.
Suprise au réveil, le ciel s’est un peu couvert, il fait -20°, un grand plaisir, d’autant que nous n’avons pas à lever le camp. Nous partons dans les montagnes dans l’espoir que le front du glacier soit accessible à la journée. Nous traversons un chapelet de lacs dont la glace est sublime.

Tout est soufflé, l’enneigement est vraiment limite, nous déchaussons plusieurs fois. Enfin, derrière le dernier lac, la pente commence à descendre. Encore une crête à franchir et cette fois ca y’est l’immense glacier se révèle avec d’un côté la calotte et de l’autre les immenses fjords d’Atta et de Torsukatak au loin. Nous voilà donc devant le glacier Eqip, notre but, à 90 km du point de départ.

La descente sur la muraille est impraticables en ski et donc encore moins avec les pulkas donc pas de regrets pour la boucle. A quelques centaines de mètres de la tente, nous trouvons une belle surprise : de l’eau liquide que je découvre malgré moi en passant mon pied déchaussé à travers une croûte de neige. Ma chaussure et ma guêtre sont mouillées mais on a de l’eau à volonté ! Pas de corvée du soir !!
Les duvets ont un peu séché, un vrai plaisir après 30 km dans les montagnes

Jour 8
Grand soleil.
Nous partons en direction du fjord d’Ataa. Le temps est radieux, la banquise parfaitement lisse et bien glissante surtout sans pulkas. Nous apercevons nos premiers trous de phoques. Peu à peu les bords du Kangerluarsuk semblent s’estomper et on atteint enfin le bout du ford.


Puis la vue s’ouvre sur le fjord Ataa. Au sud comme au nord les distances sont gigantesques, d’abruptes falaises bordent le fjord et de nombreux phoques bronzent au soleil.

C’est magique. On s’en retourne à la tente après une journée de 40 km. Nouvelle grosse réflexion qui nous quittera pas de la semaine : comment retourner à Ilulissat sans passer par le même chemin. Il serait possible de rentrer par le fjord d’Ataa mais Julien craignait des conditions de banquise moyenne. Entre temps il a fait plusieurs jours en dessous de -35 donc peut être que ça s’est amélioré…


Jour 9
Grand soleil.
Nous décidons de jouer la prudence et de rentrer par le même chemin, en effet nous voulons garder des jours pour explorer le Kangia et ses immenses icebergs. Bivouac au même endroit qu’à l’aller : entre deux lacs au milieu de la passe qui permet de rejoindre Paakitsup.

Le soir je monte au dessus des lacs, au point 471 m. La vue est sublime entre fjords et calotte.


Jour 10
Grand soleil
Nouvelle traversée du Paakitsup.

Nous faisons un essai plutôt concluant de séchage des duvets par sublimation en les étendant sur la pulka.

Bivouac sur le plateau après une grosse montée. La récompense est là : une lune immense se lève au dessus de la calotte. C’est féérique.

En plus, nous trouvons un petit lac avec de grosses crêtes de compression d’où suinte un précieux liquide : de l’eau. La température est désormais supportable -20°C.

Jour 11
Suprise au réveil, premier jour de mauvais temps.

Légers vent, brouillard et neige. Heureusement l’étape est courte on se laisse glisser jusqu’aux cabanes d’Avannarleq où nous passons la nuit. Nous commençons à penser que les dieux sont avec nous, pour notre seule nuit de mauvais temps nous sommes en cabane !

Jour 12
Très couvert.
Journée historique pour certains : on se dirige vers la muraille du glacier d’Avannarleq pour monter sur la calotte polaire. Il fait toujours mauvais.

Trois godilles sur le glacier plus tard nous nous dirigeons vers le fjord Kangia.
Cette année les icebergs ont été pris très tôt dans le Sikuiuitsoq et nous évoluons très vite au milieu d’immense blocs.
Nuit historique pour tous : nous installons la tente sur la banquise pour une nuit au dessus de 800 mètres de mer. Dur de ne pas avoir une petite appréhension au moment de se glisser dans le duvet.
Lors du repas un drame survient, je craque une allumette dont la tête en feu tombe sur l’autogonflant qui se perce. Heureusement nous avons deux tapis de sol en plus. L’un sert déjà à calfeutrer la porte, l’autre servira désormais de vrai tapis de sol.


Jour 13
Retour du grand soleil,.

Nous partons pour le Kangia en descendant le fjord Sikuiuitsoq. Nous longeons tantôt des murailles de glace, passons sous des arches, enjambons des blocs en équilibre, à chaque iceberg dépassé, un autre apparait, plus gros, plus déchiqueté, plus bleu, plus lisse…




Nous arrivons finalement au bord du fjord Kangia qui charrie tous ces géants et pique-niquons sur les hauteurs du cap Kujuammut Nuaa.


La vue est époustouflante, il y a des icebergs partout qui laissent tout d’un coup place à une belle banquise lisse puis enfin la mer bleue foncée.

Le retour sera encore plus grandiose sous la lumière du soleil couchant qui se illumine les grands murs de glace.


Arrivée à la tente le verdict tombe : il fait à nouveau en dessous de -30. On retrouve notre routine polaire… de déchaussage de skis et de fermeture éclair. Grosses aurores pendant la nuit.

Jour 14
Nuageux.
Retour sur Ilulissat. Nous déposons nos vivres en trop dans l’une des deux cabanes de pêcheurs située en bord de fjord. Nous parcourons d’une traite la piste de traineau et installons notre camp à 500 mètres de l’aéroport.
Le soir, l’envie d’un vrai repas se fait sentir : nous enchainons le gouter au Pisiffik, le repas au Kangia Cafe et le dessert à la station service. Ca fait du bien.

Jour 15
Grand soleil.
-30 °C au réveil, idéal pour faire les bagages, plier la tente, brosser les skis, les pulkas. Heureusement l’aéroport est assez vide et le gros de la tache est effectué à l’intérieur.
Retour à Copenhague sans encombre, il fait 20°C dehors. La douche à l’hôtel nous permet de retrouver un aspect présentable !

Jour 16
Retour à Genève puis en France, non sans perdre 2h dans les bouchons du salon de l’automobile
Côté matériel :
3 pulkas snowsled avec brancard
3 paires de ski nordique en NNN BC Auto ou Manuel. Les fixations manuelles ont toujours fonctionné correctement contrairement aux auto constamment gelées (même pour la fixation intacte)
3 paires de chaussures (Rossignol BCX 10 et Fisher BCX 6 2017 et 2016). Pour les trois modèles, bon confort thermique mais la qualité des Fisher laisse à désirer. Les deux paires étaient neuves et ont toutes les deux présenté des points de faiblesse au niveau de la fermeture éclair (jusqu’à la casse pure et simple) ou du point de flexion.
1 réchaud Trangia à alcool et un réchaud MSR à essence (bien pratique d’avoir deux réchauds quand il faut faire l’eau pour trois)
1 tente 4 saisons Jamet 3 places (trop petite) il faut vraiment prendre une place en plus par rapport au nombre de personnes.
1 GPS, une balise SPOT
La région est cartographiée au 1/100 000 ou au 1/250 000

Côté budget
1 460 euros TTC au départ de Genève. Avec notamment par personne 1 144 euros pour les vols Genève-Groenland, 55 euros d’hôtel et environ 250 euros d’achat sur place (bouffe, carburant…)

Pour finir
Avec quasiment 12 jours de soleil, dur de trouver des points négatifs au séjour. La stabilité de la météo est vraiment le plus de la région. L’enneigement semble quand même une grosse limite pour le ski de raid. Beaucoup d’endroits sont pelés avec de grandes portions de pierrier apparent ou de rivières en glace vive. Nous avions imaginé de multiples variantes et plan B mais beaucoup se sont révélés impraticables à cause du manque de neige. Il faut vraiment viser les fonds de vallées et la banquise. Peut être que la calotte est skiable mais cela fait tout de suite transporter beaucoup de matériels en plus. Au final, 270 km de parcouru dont 200 km avec les pulkas


Je viens de découvrir votre récit et vos images. Superbe ! Cela donne envie…