La montagne, le réchauffement climatique et le sparadrap

Annecy 2018 : La montagne, le réchauffement climatique et le sparadrap

Article du Nouvel Observateur 18/05/11

Entre durabilité et canons à neige, les contradictions de la candidature d’Annecy au Jeux Olympiques 2018.
Par Gurvan Le Guellec.

C’est la nouvelle marotte française. Le développement durable est tellement à la mode, qu’il a même envahi la sphère olympique. Ce mercredi, l’entrepreneur Charles Beigbeder et son bras droit, l’ancien slalomeur Jean-Pierre Vidal (champion olympique en 2002) sont à Lausanne pour défendre la candidature d’Annecy aux JO de 2018. Dernier grand oral avant le vote final de Durban, le 6 juillet. Leur pitch : des jeux durables, fondateurs de la montagne de demain, à la fois plus sportive et plus respectueuse de son environnement. Tout ça, rien de moins.

L’argent ou la carte postale


Le propos est sympathique. Même s’il n’est pas dénué d’opportunisme. Pour Annecy, le développement durable est autant une question de conviction qu’une nécessité. Comme l’a souligné la ministre des sports, Chantal Jouanno, les collectivités publiques françaises ne sont plus à même de suivre la "course à l’argent" qui s’est emparé des JO d’hiver, depuis que les pays émergents se passionnent pour le ski et le patinage. Ainsi des Russes de Sotchi et leur budget "novaritch" à 30 milliards de dollars pour les prochains jeux de 2014 (les jeux les plus chers de l’histoire). Ou bien des Sud-Coréens de Pyeongchang, les favoris de ce processus de désignation, qui, pour leur troisième candidature, ont mis 7.83 milliards de dollars sur la table (contre 4.35 milliards pour Annecy et 3.38 pour Munich).

Face à ces grosses machineries capables de réaliser des jeux sur mesure en créant des stations ex nihilo, Annecy a cherché à se démarquer en mettant en avant les valeurs d’ "authenticité" et de "durabilité". L’authenticité, c’est la "carte postale" haute-savoyarde : le lac, les stations-villages des Aravis (Le Grand-Bornand, La Clusaz) pour les épreuves nordiques, et la vallée mythique du Mont-Blanc pour le ski alpin.

Reblochon et réseau ferré

La durabilité, c’est la condition de cette authenticité, soit des "jeux adaptés à la montagne et non l’inverse". Ainsi, les principaux espaces naturels impactés par les jeux - la petite montagne du Semnoz au-dessus d’Annecy (dédiée au ski artistique), et le Pâquier, le grand espace vert fétiche des Annéciens en bord de lac (qui doit accueillir le stade des cérémonies) seront déséquipés une fois les compétitions terminées. Et les grands projets d’infrastructure se concentreront sur le ferré (près de 500 millions d’euros budgétés) sans augmentation de la capacité autoroutière.

Last but not least, Annecy l’a promis : ces jeux seront à émission zéro de carbone… une fois les spectateurs arrivés à l’aéroport de Genève (il faut savoir raison garder !). Pour ce faire, la candidature souhaite privilégier la filière bois, recourir exclusivement aux énergies renouvelables (hydroélectrique), et imposer le reblochon AOC à la table des athlètes (sic), histoire de favoriser les circuits courts.

Aubaine ou démesure


Quid du passif ? Eh bien, disons, qu’il s’équilibre assez bien avec l’actif. Les jeux d’Annecy ont beau privilégier les stuctures existantes (piste de bob de La Plagne, stade de biathlon du Grand-Bornand), elles en créent aussi de nombreuses dont l’utilité - et donc la durabilité – peuvent paraître assez douteuses. Tremplins de saut sans sauteurs à La Clusaz. Mais aussi éruption de quatre, voire cinq sites nouveaux pour les sports de glace (patinoires, anneau de vitesse), alors que la région est déjà largement dotée en la matière.

Même les équipements réutilisés n’échappent pas à des remises aux normes lourdes et onéreuses. La fameuse "Verte des Houches" par exemple, cette piste de descente, qui, bien qu’utilisée régulièrement pour des épreuves de coupe du monde, devra être refaçonnée, et dotée d’un nouveau remonte-pente. Coût de l’opération : au moins 50 millions d’euros. On peut s’en réjouir comme Patrick Dole, le maire de la commune, en estimant que les jeux sont une aubaine, qu’ils permettent d’anticiper – et de faire financer - des travaux que la station aurait difficilement pu se payer. On peut aussi se demander si l’addition n’est pas un peu lourde, compte tenu des bons et loyaux services rendus par la "Verte" depuis des années.

100% canons à neige

Cette démesure était-elle évitable ? Pas sûr. Les grandes ONG écologistes (France Nature environnement, CIPRA, FRAPNA, Mountain Wilderness), qui ont initialement participé à la candidature avant de claquer la porte, en font toutes le constat : le "toujours plus" est inscrit dans l’ADN des jeux d’hiver. Obnubilé par le confort de ses athlètes, de ses clients media et de ses sponsors-partenaires, le CIO impose sa loi. Le spectacle doit être garanti ? Il faut que toutes les pistes soient équipées en canons à neige, en dépit des problèmatiques écologiques qu’une telle artificialisation de la montagne soulève.

Les télés et les sportifs doivent accéder le plus vite possible aux sites de compétition ? Il faut absolument privilégier la sacrosainte "compacité" des jeux. Le premier projet présenté par Annecy, s’appuyant sur des équipements disséminés dans toute la Haute-Savoie, a d’ailleurs été retoqué de ce fait. D’où un recentrage sur les trois sites d’Annecy, de Chamonix et des Aravis. Justifiée quand il s’agit de limiter les déplacements inutiles. Plus contestable, quand cela revient à multiplier les équipements sur des bassins de population réduits.

Zone avalancheuse

Pris en étau entre leurs bons sentiments et la loi d’airain du CIO, les promoteurs d’Annecy 2018 ont dû sans cesse manœuvrer et contremanoeuvrer. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas toujours été adroits. Le maire de Chamonix, Eric Fournier, en "abominable pragmatique" peu sensible à la poésie olympique, a dû taper du poing sur la table pour ne pas hériter d’un stade de slalom, aménagé sous l’aiguille du Midi, en pleine zone boisée et avalancheuse. Et il s’en est fallu de peu (d’une manif d’agriculteurs en l’occurrence), pour que le village olympique dévolu aux skieurs alpins ne soit pas édifié sur les dernières terres agricoles de la vallée du Mont-Blanc, pourtant cruciales au maintien du pastoralisme.

Barrage des élus

En termes d’images, ces erreurs ont coûté cher à la candidature. De même que le départ des ONG écolos, qui, faute de pouvoir changer la logique des JO, exigeaient des mesures compensatoires fortes : protection des dernières terres agricoles, classement des combes sauvages des Aravis et du massif du Mont-Blanc pour empêcher toute extension des domaines skiables. Malgré les pressions de l’Etat (qui continue à négocier en douce), les élus des stations ont fait barrage et provoqué le divorce.

Plus globalement, c’est la logique même du message, cette volonté de concilier à tout prix ying et yang, modèle industriel et développement durable, qui paraît sujette à caution. Ecoutons Jean-Luc Rigaut, le maire d’Annecy, ou l’entrepreneur Philippe Lebeau, patron du club d’entreprises Annecy 2018 et "fondateur" de la candidature. Sans "nouveau souffle", c’est-à-dire sans investissement dans l’événementiel, la montagne française risquerait de perdre sa première place mondiale dans l’industrie des sports d’hiver, des millions de visiteurs, des centaines de milliers d’emplois. Certes, mais, à l’instar de l’OCDE qui en 2007 alertait les économies alpines sur les risques qu’elles encourent, l’on peut également se demander, en quoi la technicisation et la mise en avant des sports d’hiver peuvent constituer un avenir – durable - pour une montagne française, confrontée à la problématique du réchauffement.

Avenir sans neige

La question se pose de manière aigue au Grand-Bornand ou à La Clusaz, emblématiques de ces stations-villages de moyenne montagne partagées entre la volonté de préserver leur cachet, dans la perspective d’un avenir sans neige, et la nécessité du "toujours plus de ski" imposé par la globalisation du marché des sports d’hiver. Elle se pose aussi en vallée de Chamonix, où quelques voix s’élèvent contre le manque de valorisation des beautés naturelles du Mont-Blanc.

Ces esprits chagrins sont souvent traités d’estrangers, d’expatriés ou d’emmerdeurs des vallées. Mais il existe bien des modèles de développement alternatifs, s’appuyant sur la mise en valeur du patrimoine ancien et une approche plus contemplative que consumériste de la montagne, à l’instar de ces chambres d’hôtes de charme que l’on voit pousser depuis peu dans les vallées préservées du tout-ski. Elitistes, certes, mais pas plus que ces nouveaux sports d’hiver, de plus en plus internationalisés, de moins en moins accessibles au tout venant, et donc de plus en plus coupés socialement et politiquement de leurs bassins de population. La montagne française a besoin d’un grand débat. A-t-elle besoin de jeux olympiques ? Pour la fête, le rêve, l’émotion, oui peut-être. Pour se développer durablement, on peut en douter. Le sparadrap, parfois, fait plus de mal que de bien.

Gurvan Le Guellec - Le Nouvel Observateur
http://tempsreel.nouvelobs.com//actualite/sport/20110518.OBS3442/annecy-2018-la-montagne-le-rechauffement-climatique-et-le-sparadrap.html

Toujours la même chose, les bonnes paroles sont souvent (trop ?) balayées sur le terrain du terre-à-terre où l'avenir n'est qu'une nébuleuse que l'on met en avant quand ça arrange ou en arrière quand elle emmer…

Les bons sentiments tombent vite face à l'implacable logique économique qui pilote le monde depuis des décennies.

Il est plus facile de se voiler la face que d'essayer d'anticiper l'avenir qui n'est peut-être pas si radieux que ça. Mais ceux qui le disent passent pour des pessimistes alors qu'ils font parfois juste preuve de réalisme.

L'exemple de la dernière coupe du monde en Afrique du sud en est un superbe exemple. J'ai vu un reportage où un stade a été construit en rasant des quartiers pauvres et une école, avec la promesse pour les habitants d'accéder à l'eau courante.
L'UEFA et Platini ont été ravis du déroulement de la compétition. Ils se sont tous autocongratulés comme d'hab chez les décideurs du sort des autres.
Et les habitants du quartier dont je parle ont un super stade qui ne sera plus jamais rempli et qui pourrira faute de fric pour l'entretenir.
Par contre ils n'ont toujours pas l'eau courante mais devant le stade un super beau et grand ballon de foot… qui fait office de fontaine…
C'est beau non ?

Je me souviens également au moment des JO d'Alberville et la piste de bob de la Plagne, de la réaction d'un riverain qui habitait un chalet et qui disait : "les jeux vont durer 15 jours et nous on a ça devant le nez pour l'éternité".
Et devant sa maison on voyait en sur-élevation le béton de la piste dans un virage.
De plus on avait doté cet habitant d'un masque à gaz avec une cartouche, à cause de l'amoniaque qui servait de liquide auxiliaire au refroidissement de la piste.
Et une cartouche une fois ouverte, sa durée de vie est très très limitée. Et face à une bonne fuite d'ammoniaque, la cartouche serait saturée en 2 ou 3 inspirations car dedans ce n'est souvent que de la coquille broyée de noix de coco.
Extraordinaire non ?

A quand la future piste Olympique de descente entièrement couverte et réfrigérée en plein désert ?
On en est pour l'instant à des petites structures mais si l'on continue comme ça, pourquoi pas des JO d'hiver au Quatar avec une piste qui partirait du sommet d'une des tours géantes ?
On trouverait un gugus ex champion français pour aller contre rétribution bien sûr, promouvoir la candidature, ne croyez-vous pas ?

Faire cohabiter écologie, développement durable et économie c'est comme coller dans la même tribune des supporters de foot de deux club. Par exemple ceux de Marseille et Paris-Saint-Germain.

Certains économistes qu'il faudrait excommunier de la sphère osent parler à demi mot de décroissance…

On doit être au sommet de la montagne et à présent il faut redescendre à défaut de monter plus haut ou rester et geler sur place.

Allez Ciao ! C'est l'heure de la soupe ! :slight_smile:

Rien à rajouter,malheureusement :frowning:

forez a écrit :
Allez Ciao ! C'est l'heure de la soupe ! :slight_smile:
alors le soupe était bonne? :smiley: ^^

Article du Nouvel Observateur 18/05/11
Par Gurvan Le Guellec.

(&#8230smile Les grandes ONG écologistes (France Nature environnement, CIPRA, FRAPNA, Mountain Wilderness), qui ont initialement participé à la candidature avant de claquer la porte, en font toutes le constat : le "toujours plus" est inscrit dans l’ADN des jeux d’hiver. (&#8230smile

Petite rectification…
Mountain Wilderness n'a jamais participé à la candidature Annecy 2018 mais a dès le début du processus pris fermement position contre l'organisation des JO 2018 dans les Alpes françaises.