Traversée du Hardangervidda - Janvier/Février 2023 Norvège > Norvège du Sud > Hardangervidda / La traversée du Hardangervidda

Mike

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Durée : Plus de 4 jours

Distance : 140,0 km

Difficulté : Moyenne

Altitude de départ : 1222m

Altitude d'arrivée : 1222m

Dénivelée : +2400m -2400m

Altitude de chaussage: 1222m

Point le plus haut : 1398m

Pulka : accessible

Propos liminaire

Parce que je sais la magie d'internet et la facilité d'accès aux informations, mais aussi ses travers, et parce que cette sortie sera lue par "n'importe qui", il m'apparaît essentiel de commencer ce récit par une mise en garde, plutôt que par un résumé :

Ce qui suit est une itinérance en solitaire, en autonomie totale, au coeur de l'hiver et dans une zone réputée pour la violence de ses tempêtes ; C'est une aventure personnelle, réalisée par quelqu'un que vous ne connaissez pas, dont vous ignorez les capacités physiques et mentales, ainsi que l'expérience.

Malgré la courte durée, il s'agit d'une expédition. Au sens de l'organisation nécessaire, du matériel obligatoire, de la préparation minutieuse, de l'entraînement requis, et surtout, de l'engagement absolu que représente d'entrer seul en ce lieu et en cette période.

Amundsen a failli y rester... ça devrait vous mettre la puce à l'oreille.

Ceci étant dit, par responsabilité et non par secret, je ne détaillerais pas l'itinéraire emprunté, ni la liste de mon matériel, ni la préparation en amont ; Tout est dispo sur cartes, guides, internet et ici même. Comme je l'ai fait, celui qui veut tenter l'aventure est libre de le faire ; Arpenter le Hardangervidda "sans filets" nécessitera alors une grosse implication personnelle. Aussi, c'est à chacun de faire ses devoirs, de chercher, d'élaborer, et de réaliser. 

C'est en tout cas mon point de vue, ma façon de faire, et ma ligne de conduite, et je n'en changerais pas.

Si cela vous frustre, vous indigne, vous agace, je le comprend parfaitement ; Vous pouvez arrêter la lecture dès cette introduction.

Pour ceux qui veulent, la suite est juste en dessous :)

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 Préambule

Cela fait quelques années maintenant que trotte dans ma tête l'idée d'une première itinérance en solitaire et en milieu hivernal. J'ai souvent considéré la chose infaisable, en termes de logistique et de matériel (et de finances) mais aussi en terme d'expérience nécessaire. Il faut dire que c'est un milieu très spécifique et contraignant, avec un certain nombre de paramètres à devoir gérer en fonction de l'endroit choisi ; C'est un peu plus complexe qu'un trek estival sur les sentiers, à mon sens.

J'ai découvert le SRN il y a finalement peu, il y a tout juste deux ans maintenant. Et il faut dire que les hivers Vosgiens ne sont pas les plus enneigés non plus ; Aussi, l'envie a continué à grandir, et l'expérience aussi, mais bien plus lentement.

Pourtant, en Octobre dernier, je me décide à planifier ce rêve longtemps refoulé. J'ai des vacances début février, c'est l'hiver, et j'aime assez l'idée de faire quelque chose de peu ordinaire pour une première à skis hors de France.

Mes lectures et mes recherches m'amènent à choisir le Hardangervidda comme terrain d'exploration. Bien entendu, j'ai mesuré l'étendue du challenge qui m'attend, au rythme des mises en garde de gens plus expérimentés et de mes errances virtuelles. C'est - semble t'il - un endroit particulièrement hostile à cette période de l'année, tempétueux, caractériel, paumatoire ; On peut dire que ça a une réputation d'exigence et de rusticité assez poussée.

Mais les entrées et sorties sont plurielles, et la logistique du départ et de l'arrivée me semble réaliste pour une personne seule.

Il est de coutume d'utiliser les refuges, disséminés un peu partout, aux fins de se délester d'un certain nombre de kilos forcément pénibles à tracter. Je choisi de ne pas user de ce confort.

Je choisi aussi de faire ma trace sur carte, avec diverses options en fonction de la météo et du temps qui m'est imparti, et de laisser place à quelque improvisation une fois là bas. Je ne veux rien m'interdire, mais je veux m'adapter.

Les mois passent à une vitesse déconcertante, et, fin janvier, tout est prêt.

C'est un peu déstabilisant, mais l'enchaînement des jours et des tâches à réaliser en plus de mon job font que je n'ai aucune espèce d'appréhension quant à cette expérience qui pourtant, se révèlera totalement nouvelle pour le néophyte que je suis...

Le 29 janvier, je décolle pour Bergen, et deux jours plus tard, je suis dans le train en direction de Finse, porte d'entrée choisie pour cette belle aventure.

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Bienvenue à Bergen !


Des débuts difficiles (31 janvier - 01 février)

Et voilà, en quelques longueurs de chemin de fer, à 10 heures 45 ce mardi matin, je suis sur le quai enneigé de Finse, absolument seul. Le vent - déjà soutenu- et la neige servent de comité d'accueil ; Il me faut me hâter de ranger proprement mes affaires dans la pulka.

Au départ, en comptant le poids de la barquette que je vais tracter ces prochains jours, j'ai près de 60kg qui me suivent. 12 jours de nourriture et d'essence, vêtements, tente d'expédition (3 personnes, double arceaux, la seule que j'ai - forcément un peu trop lourde pour moi tout seul), accessoires et matériels divers, de quoi cuisiner et dormir en toute sécurité par tout temps et toute température.

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Derniers préparatifs sur le quai de Finse. Photo by Stephen Blakeway :)

Mon approche n'est pas celle du confort des refuges, et je ne fais pas le pari de la vitesse et de la légèreté. En revanche, je me sais autonome en toute situation, et en parfaite sécurité sur le plan matériel.

Je m'engage sur le lac glacé dans la tourmente du midi, sans aucune visibilité. Pour les quatre prochaines heures, je prends le pli de la météo maussade, du vent violent de face, de la recherche d'itinéraire sur le gps, de la désorientation permanente et de l'effort physique particulièrement dur qu'impose cet exercice - particulièrement avec le poids mort qui me suis comme mon ombre.

Quand la nuit arrive, le vent semble vouloir forcir ; Aussi, je m'abrite en contrebas d'une butte rocheuse, et bâti un premier mur de neige face aux éléments. La tente érigée, je m'y blotti avec entrain, et démarre ce qui sera mon rituel les prochains jours : faire fondre l'eau, ranger, disposer mes affaires, manger et boire... récupérer, pour mieux repartir.

Vers 20h, en pleine action, je me rend compte que c'est la tempête au dehors, et que la neige tombe fort contre la toile. Je tente de secouer l'abside, mais ma main bute sur un obstacle immobile au dehors ; "La neige s'est déjà accumulée, et je vais devoir sortir nettoyer un peu à la pelle", me dis-je. 

En ouvrant le zip, à la lumière de ma frontale, je me retrouve soudainement face à un mur de neige qui couvre presque la totalité de la hauteur de mon abri. Une congère de 80cm de haut s'est tassée contre moi, le vent ayant choisi de tourner un peu pour esquiver ma protection !

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Derniers visuels sur la civilisation et début du mauvais temps.

Je passe un temps fou à dégager les abords, puis je termine mon repas et mes arrangements intérieurs. Vers 22h30, la tempête s'est intensifiée, et la neige est revenue coller ma toile ; Lorsque j'ouvre l'entrée, je me retrouve avec l'exacte même hauteur que j'avais déblayé deux heures plus tôt... Je redouble d'effort en même temps que le vent redouble de fureur, et les tas de neige que je termine de créer à 2m de moi font maintenant ma taille, 1m80 ! Je me dis qu'entre le mur au Sud, et la congère d'1m80 sur le flanc Ouest, au moins je suis un peu abrité du vent.

L'anémomètre s'amuse comme un fou, et je relève une belle pointe à 120km/h avant de regagner mon habitat sécurisant.

Il n'y aura plus de chute de neige de la nuit, mais je resterais sur le qui-vive, en veille horizontale dans mon duvet, prêt à bondir si ça reprenait de plus belle.

Au petit matin, j'ai dormi 1 heure (autant que de temps passé à déneiger les abords de la tente en soirée...) et me voilà à m'affairer à ranger et préparer le petit déjeuner.

Dehors, Eole a eu la bonté de se calmer ; Il aura hurlé si fort la nuit dernière que mes tas de neige gigantesques ont perdu presque 1m de hauteur tout le long de la tente, et que je me retrouve désormais côté Ouest avec une congère diagonale de 80cm de hauteur et plusieurs dizaines de mètres de long.

1 jour s'est écoulé, aussi intense qu'une semaine complète.

Je prends conscience de l'endroit où je me trouve, des difficultés, et de la réputation impitoyable de ces montagnes ; J'accepte de bon gré de me plier à la météo, au terrain, et à tous les événements qui pourront se présenter.

Paradoxalement, je suis extrêmement heureux d'être ici en cet instant, et de vivre ce que peu de gens auront la chance un jour de pouvoir vivre. Je suis à ma place, et je ressens le bonheur absolu des longues journées et des courtes nuits qui vont désormais se succéder !

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La beauté sauvage d'un premier matin de bivouac dans le Hardangervidda


Un temps d'adaptation (01 février - 05 février)

Les automatismes se créent dès le 2e jour. Lorsque je me réveil, j'emballe une bonne partie de mes affaires de couchage, à l'exception des deux matelas de sol (un mousse en Z et un gonflant hivernal) qui vont encore me servir d'assise et d'isolant contre le froid du sol ; Je remet en branle la cuisine, le réchaud ronronne puis, au rouge vif, s'époumone pour faire fondre la neige. Je grignote, continue de ranger un peu, et termine de préparer ma pitance et l'eau nécessaire à ma journée.

Puis vient le temps de quitter mon petit confort, de replier le camp et de chausser mes skis.

Durant ces premières étapes, pendant 6 à 7 heures consécutives, j'encaisse un effort physique conséquent dont je n'ai pas franchement l'habitude ; Je découvre l'orientation concrète et utile, dans un terrain où tout se ressemble ou presque ; Je progresse lentement mais sûrement, du jour au crépuscule ; Je m'habitue au néant qui s'ouvre toujours plus loin devant mes skis, et dans lequel mon esprit se perd de plus en plus profondément ; J'apprends à monter mon camp efficacement, à l'identique chaque soir.

Au 3ème jour, je suis conditionné à ce nouvel exercice, et je n'éprouve que peu de difficulté à gérer mon effort et les tâches quotidiennes dans cet environnement un peu spécial.

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Visions éthérées

Pourtant, le 3 février, je devrais lutter de toutes mes forces contre les chutes de neige fraîches de la nuit précédente. Pendant 7 heures, je me bat avec la montagne, je force le passage ; Mes skis disparaissent sous le manteau blanc, qui vient lécher en haut de mes mollets, en même temps que la pulka s'enfonce jusqu'à la toile. Je progresse avec l'énergie du désespoir, toute la journée, en traînant une ancre bien trop lourde derrière moi. Quelques chutes, on perd le panier d'un bâton dans une montée récalcitrante, on jure, on hurle contre le vent qui ne cesse jamais de souffler pleine face.

Littéralement vidé par cette journée, j'aurais un mal fou à m'installer le soir venu ; Ma tête tourne à chaque coup de pelle à neige, j'ai de longues absences en montant la tente ou à l'intérieur, et pourtant, depuis le premier jour, rien n'a changé : je suis toujours aussi heureux d'être là. J'ose juste caresser l'espoir d'une neige plus clémente le lendemain.

La nuit est froide, et le sommeil, profond.

Et effectivement, lorsque démarre cette autre matinée, les conditions se sont améliorées ; Par -15 degrés et sous un vent Sud, Sud Ouest, assez soutenu, je poursuis mon odyssée blanche.

Le temps reste à l'alternance de gris et de clair, un rayon solaire réussissant sporadiquement à traverser l'épaisse couche de grisaille qui couvre le dessus de ma tête. Lorsque vient l'heure de traverser un long lac, dans les deux dernières heures d'avancée, le vent se fait un peu plus présent, et le ciel un peu moins menaçant.

Dimanche matin, l'accalmie se poursuit en apparence. En apparence seulement, car moins d'une demi heure après le départ, dès le début d'une longue montée, je me retrouve en pleine tourmente ; La première journée fut un "jour blanc" complet, la 3ème le fut en partie, et désormais, j'entame une nouvelle journée complète à l'aveugle et en plein blizzard.

Avec 60 à 80km/h de vent, et pour seul repaire fiable le visage du "boss" Amundsen qui me fixe depuis l'avant de mes spatules, je le sens, ça ne va pas être une journée facile. Un peu après 13 heures je croise la route d'un refuge du parc ; L'un des bâtiments m'offre un mur contre les éléments pendant que je me restaure rapidement et évalue les prévisions météorologiques pour les heures à venir.

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Balisage traditionnel et sculptures

Le vent va forcir jusqu'au soir, puis retomber. En attendant, l'anémomètre m'indique régulièrement des rafales à plus de 80km/h, pleine face ; Je décide de poursuivre en avant, sachant pertinemment que j'ai 3 bons kilomètres de plat sur un lac, totalement exposé aux éléments. J'espère une chute des rafales, pour pouvoir monter mon camp en sécurité, moyennant un peu de travail pour construire un bon mur de neige.

Un peu plus de 2km et d'une heure et demi plus tard, courbé sous les coups de boutoir de grosses bourrasques, je renonce à poursuivre en cette direction ; Je sens que l'effort nécessaire à la progression m'a fait pas mal suer, et que les températures chutent progressivement, sans que le vent n'ait grande résolution à faiblir. 

Je fais demi tour en maugréant, me consolant avec le souffle désormais majoritairement dans mon dos . J'érige ma tente parallèle à un bâtiment du refuge, et, comme un fait exprès, dès lors, le blizzard ne fera que de baisser en intensité ! Frustrant, mais c'était un choix sage au regard de l'hypothermie légère qui s'est installée insidieusement.

Le repas ou le thé du soir ne me réchauffent pas, et je continue à trembler dans le sac de couchage malgré des températures raisonnables autour de -12 degrés. 

Fort heureusement au réveil, je peux dire avoir totalement récupéré et finalement avoir assez bien dormi. La journée sera longue de 3km de plus, puisque je suis résolu à rattraper mon aller-retour fortuit de la veille ! 

C'est une journée physiquement difficile ; Hier a laissé des traces dans les jambes et le bas du dos a aussi eu droit à son lot de fortes contraintes. Mais comme toute journée difficile, celle-ci se termine ; Au coin du réchaud, je scrute les nouvelles prévisions météo, et ce n'est pas une très bonne nouvelle que j'ai sous les yeux.

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Des reliefs saisissants

Je suis supposé sortir à la route Vendredi matin, si tout va bien ; Néanmoins, mon plan est en péril : il me reste beaucoup de kilomètres, des journées un poil plus longues, mais se profile un épisode de grosse tempête prévue dès jeudi. De lundi à mercredi, beau temps ; Puis 120km/h de vent et 30cm de neige jeudi ; Puis 100km/h de vent et 25cm de neige vendredi... Peu engageant !

Deux options s'offrent alors à moi :

- 1 / Je renonce à traverser, je réalise une diagonale sécurisée depuis ma position et sur trois jours, avec environ 35km à parcourir, et je retombe sur la seule route du coin (la n°7) d'où je pourrais sans mal rejoindre la civilisation.

- 2 / Je m'engage dans la traversée finale. C'est une voie sans retour, je devrais accélérer le pas les 3 prochains jours pour me rapprocher au maximum de la sortie que j'ai choisi, je n'aurais pas d'issue de secours une fois le mardi passé. Je suis en mesure d'attendre 2 jours sous la tempête, de me rationner en nourriture, et de terminer entre vendredi et dimanche au besoin. Pas de marge d'erreur possible, plus de demi tour salvateur.

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Le calme ... avant la tempête


Aller simple (05 février - 08 février)

Je me laisse jusqu'au petit matin pour décider, et revérifier les prévisions météo ; Ces dernières ne changent pas d'un iota. Je décide sereinement de poursuivre mon projet initial, déjà bien empli d'inconnu et d'aléas.

Je peux encore faire demi tour demain matin en dernier recours, et aussi, je me sais suffisamment solide mentalement pour m'enfoncer dans une autre tempête, attendre, et terminer les derniers kilomètres au rythme imposé par les conditions de fin de semaine. Je me sais aussi suffisamment solide physiquement pour encaisser trois grosses journées de ski.

Comme je suis seul à décider, et que depuis le début je porte seul le poids des conséquences, je ne me sens pas stressé par ce choix. Je le fais en pleine conscience, et j'accepte dès lors d'aller droit dans un mur ; Je ne compte pas compromettre ma sécurité, mais je pense être encore relativement éloigné de la limite d'un danger que je ne pourrais plus maîtriser. Alors je pars, lundi matin peu avant 9 heures, à un rythme soutenu ; Le temps est clair, le ciel plutôt bleu, et le vent plutôt timide. 

C'est une longue journée de ski plaisir, avec une bonne neige, un bon kilométrage, des paysages merveilleux. J'en oublie littéralement cette légère inquiétude quant à ce qui m'attend jeudi.

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Aux montagnes qui, elles-mêmes, courbent l'échine face aux vents

Pour cette seule journée, le voyage était nécessaire ; Juste une poignée d'heures éternelles au milieu de ce décor sans fin ; L'imaginaire carbure à plein régime, le sourire revient sans cesse se poser sur mon visage à peine gelé. C'est toujours intense, mais c'est follement beau.

Déjà le soleil décline à l'horizon, et à bientôt 17 heures, je fais mon nid. Je mange comme un roi, et dors du sommeil du juste ce soir ! Dans mon carnet de route, que je tiens quotidiennement, je consigne encore une fois des sensations et des pensées, plus que des données ou du factuel. Oui, j'ai fais x kilomètres pendant x heures, il y avait des montées de x mètres de dénivelé, j'ai bu x litres de thé, et il y avait x degrés le matin au dehors... Aucune importance. 

Encore une fois, je ne suis pas allé là bas - comme ailleurs - pour réunir des données destinées à impressionner un public qui m'est inconnu et indifférent. Je suis parti en Norvège en quête de ressenti, et surtout, d'émotions. Je ne sais pas si il y a un public pour les aventures qui ne comportent pas de record, qui n'ont aucun rayonnement médiatique, et qui ne sont destinées finalement qu'à ma seule autosatisfaction ; Mais je sais quelles raisons me poussent à réaliser mes rêves, et elles ne souffrent d'aucun besoin de reconnaissance.

Me voici maintenant au 7 février. C'est une étape majeure, car ce matin, je choisi définitivement d'être fidèle au chemin que j'avais décidé d'emprunter dès le début de ce voyage ; Je m'engage sur une voie sans retour.

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Et aux immensités sans limites

Les prévisions n'ont pas vraiment évoluées, et je me retrouve avec une journée plutôt calme d'un point de vue météo, même si, encore une fois, je subirais plusieurs fois un "whiteout" total à raison de deux heures de temps sur mon temps de ski.

La pulka a baissé en charge, mais pourtant, l'effort consenti pour la mouvoir (et me mouvoir avec) demeure important.

Le défi de la journée me fait un peu peur, car il s'agira de remonter une pente vraiment raide, sur 150m de D+, après une douzaine de kilomètres. Des lignes de la carte, j'en déduis que cela ne va pas être simple ; Je souhaite simplement pouvoir trouver un moyen de grimper à skis, et pas à pieds ou à 4 pattes ! Devant l'obstacle, je suis effectivement impressionné (rebuté !) par son inclinaison. Impossible de remonter ça sur les skis, même sans pulka ce serait très compliqué... Mais un système de couloirs obliques, plus à droite, me permet de deviner un itinéraire bis jusqu'à faire jonction avec ma trace.

Je dois sérieusement m'employer, et je dois souvent m'arrêter pour récupérer mes forces, mais c'était le bon choix, et j'ai pu arriver en haut sans perdre trop de temps. Il me reste 3 bonnes heures à skier jusqu'à la tombée de la nuit, et je m'atèle à progresser le plus possible, jusqu'à une crête plutôt jolie et accueillante que j'aménage pour y monter mon abri.

Le vent décide de secouer la tente de plus en plus fort ce soir. A l'intérieur, je suis bien secoué également.

La tempête a pris de l'avance, et va s'abattre dès demain matin. Je suis maintenant anxieux, car les prévisions sont bien pires que celles annoncées de dimanche à ce matin...

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Le ciel se pare de couleurs douces et somptueuses


La fin d'un voyage

Il n'est plus question de "performance" ou de kilomètres. Je suis actuellement sur une pente exposée au vent et aux accumulations ; Mercredi, j'aurais droit à 80km/h de vent au plus faible de cette tempête, et probablement 100km/h en continu au plus fort. Très clairement, dans mes "manuels", cela signifie qu'il ne faut pas sortir, et ne pas s'aventurer dans des espaces où l'orientation est déjà très difficile en cas de mauvaise visibilité et vent faible. Là, cela augure d'une journée à zéro visibilité, à température ressentie bien basse, et aux conditions de progression dangereuses.

Néanmoins, je suis en fâcheuse posture là où je suis. Je peux "bétonner" mon camp, et attendre ; Mais comme dit précédemment, l'endroit n'est pas très sur. 

Je peux tenter une percée en pleine tempête, et rejoindre un refuge à 6km derrière un col. C'est l'option que je choisis ; Car, même si je me suis refusé à utiliser les refuges, voir à les approcher, il n'est pas question de jouer avec ma sécurité.

La prévision est la suivante : mercredi, vent uniquement, conforme à ce que j'ai écrit plus haut ; Jeudi, 120km/h ou plus, et 40cm de neige ou plus ; Vendredi 100km/h ou plus, et 30cm de neige. Puis un redoux conséquent qui fera passer les températures à +5° dès samedi matin et au moins jusqu'à dimanche inclus.

Si j'arrive à rejoindre le refuge, il me restera une dizaine de kilomètres pour m'extraire là où je le veux (et peux). C'est aussi et surtout une question de survie : un abri en dur pendant une tempête qui se prolonge pourrait me sauver la vie.

Mercredi à 8 heures 30, je quitte mon dernier camp.

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Rares instants de soleil entre deux grisailles

Si les premières 20 minutes se passent à descendre au calme, dès mon arrivée en fond de vallon, le vent se lève brutalement. Encore une fois, je vais remonter au col face aux éléments déchaînés, mais cette fois ci, la violence du vent couplée à la désorientation totale vont me mettre à cran et à rude épreuve. Le masque gèle, je ne vois les rochers que lorsque mes skis les touchent, je tombe de côté car il m'est impossible de savoir si je viens de m'arrêter sur un dévers, et les rafales monstrueuses me mettent à l'arrêt ou me repoussent un nombre incalculable de fois.

Le vacarme est déstabilisant, inquiétant. 

A force d'auto persuasion et d'efforts violents, j'arrive à me hisser au col en deux bonnes heures ; Aucun changement de l'autre côté, je ne vois absolument rien, ne sent pas venir les pentes ou les changements d'adhérence. J'entame à peine la bascule, que je ressens soudain une brusque prise de vitesse sous mes skis. Je n'ai le temps de rien faire, sinon de tenter de planter mes deux bâtons légèrement en avant pour me "freiner" sans savoir si cela va avoir l'effet escompté ou non.

Puis le vide.

Puis le choc.

Mes fesses touchent le sol, et, dans la seconde, les 55kg de ma pulka viennent frapper mon dos et mon épaule de toute leur vigueur. Je ne suis pas sonné, mais une sensation de calme absolu vient maintenant s'installer ; Je n'entends plus le vent, je ne pense plus à la tempête ou au refuge.

Je viens de sauter une petite corniche de 2 mètres environ. Lucide, je bouge mes membres, et essaye de me redresser. Je fais le point des dégâts corporels : contusions au poignet, peut être une légère entorse, pas de restriction de mobilité, pas de soucis respiratoire, pas de perte de connaissance ou de sensations de vertiges, douleur modérée au dos et à l'épaule, pas de vêtements déchiré ou de sensation de sang qui s'écoule sous le tissu.

C'est déjà ça. Par contre, le brancard rigide de ma pulka est détruit. Je le démonte, enfin ce qu'il en reste, et vérifie les filins en acier ainsi que les points d'attache ; Tout tient, et le fond ne semble pas avoir trop été endommagé.

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Dans le vif du sujet ! Photo by Stephen Blakeway

Néanmoins, j'ai maintenant un sacré problème ; Le terrain est en pente modérée, et je n'ai plus de retenue entre ma pulka et moi. Je me fais renverser dans tous les sens dès qu'elle décide de partir sans moi ! L'absence totale de repères, de visibilité et de sensations crée un véritable danger. Si je suis entraîné sur une autre corniche ou pire, si je saute une barre rocheuse, l'issue risque d'être différente...

Pendant les deux heures et demi de cette pénible et interminable descente, je réfléchis calmement. Est-ce raisonnable d'envisager une suite à cette journée ? Dois-je solliciter une évacuation au regard des conditions et de la chute ? Je ne trouverais la réponse qu'une fois au refuge. Je refais une estimation de la météo : on est toujours dans les mêmes prévisions.

Lorsque je franchis le seuil du refuge pour m'y mettre à l'abri, les rafales dépassent les 100km/h. Je ne crois pas aux miracles, et il est hors de question de compter sur la chance ; Pas ici, pas dans ces conditions, et certainement pas en solo.

Empli d'une frustration sans borne, à 13 heures 30, je déclenche un S.O.S. 

L'équation est simple : on est mercredi, et je suis bloqué jusqu'à samedi matin par la tempête et les fortes précipitations à venir ; J'ai deux jours de nourriture, que je peux répartir, mais pas à l'infini ; A partir de samedi, pour moi comme pour un éventuel secours, il y aura encore du vent, et les températures en hausse laissent craindre un très fort risque d'avalanche (sur la carte, il n'y a pas d'issue sans reliefs sujets à des coulées...) ; In fine, si je dois finalement déclencher un secours le weekend, ceux qui voudront bien vouloir m'extraire vont prendre des risques que je trouve bien trop sévères. Et il y a la casse matérielle, et les petits bobos qui me semblent légers mais dont je peux très bien, pour l'instant, ne ressentir que les prémices.

Encore une fois, seul face à ses choix, il convient de rester objectif et d'évaluer avec précision les conséquences.

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Pas de regrets, c'était infiniment beau !

Je suis peut être frustré de ne pas pouvoir faire les 10 derniers kilomètres prévus sur mes skis, mais, si quelqu'un doit venir m'aider à franchir ces derniers kilomètres, je préfère qu'il ait le choix du moment et du mode, plutôt que de devoir créer une situation de réelle urgence... En tout cas, je le vois ainsi. Je fais un choix qui n'en est pas vraiment un ; Un choix de raison, pas de coeur. Mais finalement, le seul choix qui puisse se concevoir à cet instant.

A 19 heures, 4 motoneiges viennent à ma rencontre, et me tirent hors de ce monde de glace ; A 21 heures, à l'hôpital, on m'annonce que je ne semble pas présenter de blessure particulière.

Ainsi ma traversée solitaire du Hardangervidda prend fin, dans des conditions peu enviables, et d'une manière que je n'ai pas vraiment choisie. 

C'était une expérience hors du temps, un défi de tous les instants, et une aventure d'une beauté et d'une intensité sans commune mesure pour le Petit Homme que je suis ; Combien il a été fascinant d'évoluer là bas, sans jamais croiser la moindre trace de vie, sans la présence du moindre humain une fois passé Finse ! Je regrette profondément l'issue, et pourtant, à peine une petite semaine après, je m'accroche à toutes ces journées incroyables que j'ai pu vivre.

Chaque voyage est différent, pour chaque personne ; Les conditions changent, les règles du jeu aussi, et la perception des choses n'est pas la même pour tous. Très clairement, je comprends parfaitement pourquoi presque personne ne s'engage dans ces terres à cette période ! Il y a visiblement eu, les années passées, des évacuations prématurées, des grosses blessures ou gelures, des gens qui ont renoncé d'eux mêmes face à la violence des éléments... Par rapport aux mois de mars ou avril, au balisage, aux journées plus longues et un peu plus clémentes, c'était un choix audacieux. 

Et comme je l'ai écrit en introduction de ce récit : n'y allez pas seul. C'est paradoxal, alors que j'y ai vécu quelque chose de tellement beau et fort ; Mais je n'irais jamais "recommander" de faire la même chose. Si la route n°7 est fermée par mauvais temps, que vous alliez du Nord au Sud ou l'inverse, c'est sans filet, sans retour. Chaque problème doit être résolu, chaque situation gérée ; Et à moins d'avoir déjà traversé des tempêtes d'ampleur, l'expérience en solitaire peu rapidement être terrifiante et dangereuse. Une fois lancé, il n'y aura personne pour aider, pour guider ou rassurer ; Si vous craquez, vous risquez votre vie ; Si vous ne vous maîtrisez pas physiquement, vous risquez votre vie.... Envoyer un S.O.S. impose de ne pas être inconscient ou noyé dans un lac qui aura cédé, par exemple...

Pour moi, l'engagement a été absolu, le terrain n'a pas été simple, la météo ne m'a pas épargné, et certaines journées ont été des luttes sans merci contre la montagne et ses fureurs. Pourtant, et malgré la frustration des derniers instants, je n'en tire qu'un immense plaisir et la satisfaction d'une expérience chèrement acquise. 

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A la Norvège, au Hardangervidda ! Une inoubliable traversée en solitaire, en plein hiver, et en autonomie totale ... mais pas sans assistance ;)

Il faut rester en vie, pour vivre d'autres aventures !

 

 

Météo

Quelques rayons de soleil, vent permanent (20 à 100kmh), quelques bonnes chutes de neige aussi ! Globalement maussade, avec 3 tempêtes essuyées en 9 jours et pas mal de temps passé en "Whiteout" total

Condition de neige

2 journées avec belle qualité, 1 journée épouvantable en neige profonde, le reste très variable en fonction des orientations, températures et exposition aux vents. Globalement moyen à mauvais. 

Activité avalancheuse observée

Néant sur le parcours

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xtofpol

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Bravo Mike !
Finalement, c'est une traversée réussie et une immersion XXL que tu as vécue. L'Hardengervidda est un plateau incroyable, rude, mais tellement extraordinaire.
Cela fait plusieurs témoignages que je lis ou entend sur la période Janvier-Février, j'ai l'impression que c'est effectivement une autre dimension et un autre engagement
qu'en Mars où les jours rallongent.
Tes photos sont très belles !
Je te souhaite une bonne récupération.
Xtof

Mike

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J'avoue ne pas m'expliquer l'écart vécu (et lu ailleurs) par rapport à une traversée identique à +3 ou +4 semaines... ça semble totalement lunaire de se dire qu'on peut y aller plus "light", skier plus vite, moins se faire brasser.
En tout cas j'y ai trouvé exactement ce que je cherchais, et c'était tellement intense que j'ai l'impression d'avoir terminé une bambée de 1 mois en moins de 10j réels !
Merci beaucoup pour ton commentaire, et ton intervention sur mon post originel du forum :)
Mike

Ångström

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  • author: Ångström

La lecture de ton récit est haletante. Tu réussis très bien à partager ce que tu as vécu. Merci.

L'essentiel est dit même si ton choix de rester silencieux sur les itinéraires et les lieux où tu es passé sont quelques fois frustrants pour un fondu de cartes comme moi. Cela n'empêche en rien de lire ton récit avec grand intérêt.

De toutes façons ce genre d'expédition est au-dessus de ce que je me sens de faire et surtout même de ce que je recherche. Donc pas de risque en ce qui me concerne.

L'issue de cette expédition fait réfléchir à notion d'autonomie. Pourquoi la rechercher quand on sait, au fond de soi qu'en cas de besoin, on fera quand même appel à l'aide?
Je n'ai pas de réponse. C'est juste une réflexion.

Mike

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  • author: Mike

Hey ! Oui je me doutais que tout le monde ne pouvait pas apprécier le flou autour du parcours ; sincèrement, je préférerais poster avec l'itinéraire en grand, mais au fil de mes voyages, et surtout ces dernières années, j'ai été refroidi par l'accessibilité à outrance du net ... je passe volontiers à 1 exemple qui me concerne : suite à un trek au Zanskar, j'ai mis le gros des info, topo et matériel inclus, à l'air libre, et j'ai transmis plus de détails en privé. J'ai su plus tard que 2 zinzins avaient voulu calquer leur voyage sur mes données, sans expérience, avec un physique limité et zéro compétence ; ça a failli très mal finir, ils sont rentrés en catastrophe à Leh après s'être perdus et vautrés sur un glacier, ils ont été recueillis en vrac... et au retour ils ont essayé de reprendre mon récit (et des photos) à leur compte, avant d'être "interrompus". Vexés, ils m'ont dit que c'était ma faute si ils s'étaient lourdés comme 2 fruits ^^

Ça et quelques autres histoires de conflits, copies, mensonges et mésaventures inspirées par autrui, bref, je déteste les polémiques et les idiots. Donc j'ai choisi un faux semblant de secret : le Hardangervidda est tracé sur les cartes, y a des .gpx partout sur internet, été comme hiver, et c'est suffisant pour y aller :) mon parcours n'apporte rien de "neuf", il fait juste des zigzags.

Par contre, je peux t'envoyer plus de détails en privé, ça ne me gêne pas du tout ;)

Quant à l'autonomie, c'est effectivement une belle contradiction. On l'est, jusqu'à avoir l'assistance de quelqu'un pour sortir du pétrin.

Mais avec un guide, des belles conditions, et des nuits en refuge, tu peux aussi avoir besoin d'être évacué.

Pour ma part, l'autonomie totale implique de préparer et d'exécuter seul ; infos, matériel, logistique, transports, nourriture, itinéraire, décisions, nuitées...etc. Mais ce n'est pas pour la gloire, la reconnaissance ou une raison autre que l'envie de faire moi même.

Rapport à mon voyage, j'aurais toujours en travers de ne pas finir sur mes skis à quelques heures de l'endroit où j'ai du arrêté ; Rien ne l'effacera.

La possibilité de recevoir de l'aide en cas de pépin, à mon sens, n'ôte pas la beauté de l'autonomie ou son sens, dès lors que ce qui nous y pousse n'est que le fruit de notre propre envie, et pas une projection de "performance" pour briller en société 🙏

Vaste sujet en tout cas !

Merci beaucoup pour ton commentaire :)