Islande : vent, feu & glace Islande

Régis Cahn

Régis Cahn

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  • author: Régis Cahn

Durée : 2 à 4 jours

Difficulté : Moyenne

Pulka : non accessible

Partis pour tenter une traversée intégrale (du nord-est au sud), hivernale et expresse de l'Islande, Michael Charavin et Cornelius Strohm ont du modifier leur itinéraire en raison d'un déficit de neige particulièrement marqué cette année.

Ils réalisent tout de même la traversée de la plus grande calotte glaciaire d'Europe, le Vatnajökull, d'est en ouest, de Jöklasel à Jökulheimar, en passant par le volcan Grimsvötn. Nom de code de cette expédition Kite-ski en Islande : The Elements-Expeditions. Une expérience "punchy" au cœur de l'hiver islandais et un ride rock'n roll pour ces deux pèlerins du Grand Nord !

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Brutale entrée en matière
Le 20 février à midi, nous prenons pied sur le glacier Skálafell, à 700 mètres d'altitude. Lumières limpides. Au nord-ouest, un remarquable front nuageux, presque inquiétant, déferle des hauteurs du Vatnajökull, la plus grande calotte glaciaire d'Europe (sa superficie avoisine celle de la Corse). Loin à l'est, les eaux vert pétrole de l'Océan Atlantique frisent sous les assauts du vent du nord ; entre les deux, une succession de reliefs sombres et accidentés domine les plissements du glacier bleu acier. En deçà de cette altitude, la neige est absente ; au-delà, elle est "bétonnée" par le vent, qui pour l'heure dévale du Vatnajökull en un flux continu, frontal, violent.

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A pied, dans un vaste amphithéâtre glaciaire délimité ici et là par des sommets rocheux, nous grignotons quelques petits kilomètres en direction de la calotte. Au nord-ouest, les pentes abruptes du Litlafell et du Snjófell émergent d'une épaisse carapace de glace, tandis qu'au sud, l'arête qui court du Grjótbotstindur au Kaldárnúpur se découpe nettement dans l'azur du ciel.

Mais en fin d'après-midi, le front nuageux trop longtemps contenu explose. Soudain, des nuages bas dévalent des hauteurs vers notre position. En quelques minutes, les valeurs annoncées par notre anémomètre grimpent à 55 nœuds (100 km/h), nous contraignant à monter le camp en un lieu insuffisamment enneigé. Dans la tourmente, nous luttons une heure durant pour tenter d'édifier un maigre mur de neige afin de protéger notre frêle abri…

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Le matin suivant, les nuées ont repris leur position haute sur le Vatnajökull, le soleil brille à nouveau sur notre camp, le vent de NNW ne souffle plus qu'à 25 nœuds (45 km/h). Le relief, encore trop montagneux pour nous laisser libres de choisir notre azimut de progression, nous impose de gagner de l'altitude en direction du nord-ouest. Pas d'autre alternative, donc, que de lutter pour remonter au vent… Quant à l'état de surface du glacier, il n'est absolument pas propice à l'usage des kites, même de petites dimensions. Nos Parawings nous sortiront d'affaire ! A la barre de nos Beringer 5, nous avalons rondement les premiers kilomètres. A cet instant, nous ne nous doutons pas que nous venons de manger notre pain blanc : nous ne reverrons plus le bleu du ciel durant les sept jours suivants…

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Sont-ce les nuages qui descendent à notre rencontre, ou bien nous qui filons à bonne allure vers eux ? Toujours est-il qu'en pénétrant la couche de stratus, le vent se renforce considérablement et, en dépit de la pente, notre vitesse de progression s'accélère nettement. Pour un début d'expé, nous aurions espéré une immersion moins brutale, mais le sort en a décidé autrement. Dorénavant, il nous faut lutter, forcer nos appuis et faire mordre nos carres dans une neige-glace sculptée par le vent pour maintenir le bon cap, batailler pour tenir nos voiles et ne pas se faire déporté dans le lit du vent.

Un peu plus loin, sur le prolongement sud du dôme Breidabunga, la visibilité devient nulle. Le transport de neige par le vent est tel qu'au-delà de 60 mètres, la silhouette du coéquipier disparaît. Attention de tous les instants, confiance en soi, en l'autre, en l'expérience commune sont nécessaires pour ne pas céder au stress… Cependant, la tension est vive lorsque la perte de contact visuel se produit, car nous savons pertinemment que l’affaire peut dégénérer en une poignée de secondes. Le risque de se perdre l'un l'autre est plus que probable, situation qui génèrerait des difficultés extrêmes malgré nos moyens de communication radio.

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Techniques de progression dans le grand blanc !
La navigation sous voile - kites ou parawings – en "mode" expédition (c'est à dire avec traction de pulkas), permet un déplacement plus ou moins rapide : de 5 à 60 km/h selon l'allure de progression (prés, travers, portant) et la vitesse du vent. Mais elle nécessite en permanence un fin pilotage de l'aile.

De ce fait, on ne navigue pas sous voile comme on progresse à pied ou à ski : si ces deux derniers modes de déplacement s'accommodent facilement d'arrêts fréquents pour consulter l'avis d'un équipier, une carte, une boussole ou un GPS, pour s'alimenter, s'hydrater, se vêtir ou se dévêtir…, le premier est incompatible avec toute autre action que le pilotage ; une fois sous voile, le temps et l'énergie y sont exclusivement dévolus (particulièrement dans le cadre de grandes traversées réalisées à des rythmes soutenus).

Il en découle des règles pratiques évidentes : l'équipement devra être sélectionné, préparé et stocké de façon à rendre son usage le plus simple et le plus efficace possible. De même, l'élaboration de l'ensemble des itinéraires envisagés (les principaux, les variantes et ceux de "secours") devra être largement anticipée, choisie avec soin, consignée avec précision et utilisable à tout moment. Le respect de ces principes constitue une des – sinon la – conditions sine qua non d'une progression efficace tout en garantissant une sécurité élémentaire, y compris dans un environnement particulièrement inhospitalier.
A ce titre, lors de la préparation de cette expédition, nous avons porté sur fonds de cartes numériques une vingtaine d'itinéraires différents (appelés "routes" dans le jargon de la navigation GPS), chacun d'entre eux étant composé de 10 à 70 points géographiques référencés (les "waypoints").

Le GPS-bracelet est l'outil indispensable à ce type de progression. Par beau temps, et dans la mesure où existent des repères spatiaux, il est naturel de les mettre à profit pour évoluer et naviguer avec sérénité et précision. Ces repères spatiaux peuvent être des relief (sommets, crêtes, corniches, dômes, combes, glaciers, moraines, crevasses, falaises, cratères, dépressions du terrain etc…), mais aussi la position du soleil, l'ombre portée du kiteur ou de sa voile, la direction du vent, celles des micros reliefs au sol (les sastrugies). Ce sont autant d'éléments qui complètent l'usage du GPS. Mais dans la tempête et le white out ("jour blanc"), les données du problème changent totalement, et il n'est, dès lors, pas exagéré de parler de progression par conditions extrêmes. Les repères spatiaux – lointains, mais aussi les plus proches – disparaissent totalement du champ de vision de "l'ouvreur" (le kiteur qui "ouvre la route"). Subsistent alors comme seuls repères, les spatules de ses skis et sa propre voile, le reste n'étant qu'un gris uniforme qui unit le ciel à la neige…

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S'ajoute à cela, par vent fort [de 50 à 70 km/h établis ; si l'on excepte quelques rafales, nous n'avons pour l'instant jamais progressé sous voile au-delà de ces vitesses de vent], l'obligation de gérer un nombre croissant de contraintes. Certaines sont purement techniques, comme le pilotage de la voile, la prise de carres et la tenue des skis sur la neige, la gestion de la trajectoire. D'autres sont physiques, telles que le maintien d'une posture d'opposition à la traction et d'une contraction musculaire importante, ainsi que la nécessaire gestion du froid [par 70 km/h de vent et – 15 °C, la température ressentie est de l’ordre de – 40°C]. Certaines contraintes, enfin, engendrent une augmentation importante des risques, comme l'accélération de la vitesse propre du kiteur, la perte possible du contrôle de la voile [danger majeur de se faire projeter], l'altération de la visibilité [perte des repères spatiaux, mais aussi phénomènes de condensation / givrage sur le masque de ski] qui peuvent entraîner des chutes, des accidents [corniches, crevasses…] voire la perte du coéquipier…

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Dans de telles conditions, le GPS-bracelet est l'ultime ressource pour la poursuite de la progression. L'ouvreur s'assure alors, par simples coups d'oeil sur l'instrument, de la pertinence de sa position par rapport à l'itinéraire prévu. Cela au moyen d'une évaluation permanente de paramètres précis tels que la vitesse de progression, la distance au point suivant, l'alignement de l'azimut effectivement suivi ("cap") sur celui planifié ("relèvement").

Un tel usage du GPS nécessite non seulement une connaissance parfaite de l'outil, mais aussi un recours systématique à l'instrument, doublé d'une confiance totale dans la fiabilité des itinéraires choisis et des routes dessinées. Progresser à 30 ou 40 km/h sans aucune visibilité est une réelle épreuve mentale qui génère forcément un sentiment d'insécurité [car la présence d'un danger éventuel - crevasse par exemple - ne peut alors être anticipée]. Un ressenti bien naturel que nous parvenons toutefois à refouler car nous savons que les indications données par nos GPS résultent d’une préparation et d’une méthodologie rigoureuses : une interprétation croisée des cartes topographiques (reliefs, pentes, ruptures de pente, orientations…) et des données de terrain recueillies oralement (présence potentielle de crevasses et autres obstacles accidentels…) ; cette interprétation constituant la base même d'une planification minutieuse et méthodique des différents itinéraires que nous pourrons être amenés à emprunter sur le terrain.

Lors de la progression, le degré d'investissement et d'engagement est très différent selon la position tenue au sein du binôme, particulièrement en conditions extrêmes. Cela s’explique facilement : le second évolue dans un espace dimensionné par le premier. Il perçoit ainsi l'inclinaison du sol, les variations de pente. Il peut adapter ses appuis en conséquence, "niveler" sa trajectoire par rapport à l’ouvreur. Il n’a alors “plus qu’à” piloter sa voile et peut donc plus facilement s’occuper d’éléments secondaires comme la protection contre le froid ou une éventuelle prise alimentaire…

L'ouvreur, lui, doit gérer un nombre de paramètres bien plus important : en premier lieu, maintenir le cap. A lui de trouver l'allure et la technique de progression pour pouvoir suivre la route préalablement définie : la meilleure utilisation de la fenêtre de vol, l'angle d'incidence de la voile, la position du corps sous la barre, l'appui sur les carres des skis… Le contrôle permanent du GPS lui permet d'adapter constamment entre eux l'ensemble des paramètres nécessaires au maintien de cette trajectoire. En l'absence de repères spatiaux (white out), seul ses récepteurs sensoriels proprioceptifs [qui informent le cerveau de la motricité fine, de la position du squelette et de la stimulation tendino-musculaire] lui permettent de deviner si la pente s'incline dans un sens ou dans un autre, et d'adapter ses appuis en conséquence.

Enfin, le premier a aussi pour mission permanente de vérifier que le second suit bien…

Autant dire que s'il existe une émulation et un intérêt particulier pour l'engagement que nécessite la position d'ouvreur, c'est aussi avec un certain soulagement que l'on cède régulièrement sa place à l'autre.

[b][color=660000]Dans les vents du Vatnajökull[/color][/b]
Dans cet univers opaque, nous percevons tout de même des variations temporaires d'inclinaison : à de courtes descentes succèdent quelques fortes montées, preuves que la calotte du Vatnajökull, même dans sa partie centrale, n'est pas forcément plane. En fin d'après-midi, la progression devient limite, voire dangereuse : par vent de travers, le pilotage de la voile demande une tension musculaire maximale et une concentration paroxysmale pour maintenir le bon cap, ne pas se faire décoller et ne pas perdre son coéquipier. Le vent du nord dépasse les 35 nœuds sous rafales. Nous préférons stopper les frais pour aujourd'hui. A 35 km du premier camp, nous édifions un second mur de protection dans la tourmente (la neige est ici présente en quantité), puis dressons la tente : une nouvelle heure d'efforts qui nous vaudra de légères gelures sur le visage. Sur le thermomètre, le mercure frise les – 20 °C…

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Dans l'après-midi du 22 février, la couverture nuageuse se fait moins épaisse, le vent faiblit même par moments à 20 nœuds, la visibilité s'améliore quelque peu. Nous progressons à vive allure sous Beringer 8 dans une ambiance que l'on affectionne tout particulièrement : vent sensiblement arrière qui soulève un fort chasse-neige, parhélie dans le ciel, vitesse de pointe dépassant les 50 km/h… Mais les conditions idéales ne durent guère. A l'approche du Volcan Grimsvotn, le vent se renforce et la neige au sol laisse à nouveau la place à une surface irrégulière et glacée. Nous renvoyons la Beringer 5 pour avaler les 200 mètres de dénivelé qui nous séparent de la lèvre de la caldeira. Plus nous nous élevons le long de la large crête orientale de Grimsfjall, plus le sol devient malaisé à skier et le vent turbulent. Par ailleurs, la visibilité reste insuffisante pour distinguer la bordure nord de la crête sur laquelle nous évoluons. Or, nous savons qu'elle se termine en une falaise de plus de 150 mètres qui domine le fond de la caldeira. Nous sommes sur le qui-vive, cherchant à déceler dans la lumière blafarde les indices d'une rupture de pente. Aussi, à environ un kilomètre du point culminant du volcan, prenons-nous la décision de plier les voiles et de terminer à pied. Au sommet, les bourrasques dépassent à nouveau les 55 nœuds.

Grimsvötn, une oasis de chaleur dans la tourmente !
Grimsfjall est le nom du volcan sous-glaciaire sur lequel nous nous trouvons (le plus grand volcan de ce type en Islande) , Grimsvötn celui du lac qui occupe le fond de la caldeira. Situé sur un système de failles sous-glaciaires affectant toute la partie ouest du Vatnajökull, l'édifice est relativement actif et particulièrement réputé pour ses jökullhlaup, sortes de crues cataclysmiques issues de la fonte soudaine et massive des glaces entourant le volcan. Ses éruptions sont régulières, sa dernière remontant à 2004.

Les glaciologues Islandais ont eu l'idée, à la fois folle et géniale, d'installer un refuge sur la lèvre orientale du volcan. Idée folle car Grimsfjall est un pointement rocheux qui domine de 200 m la calotte alentour. Autant dire qu'il s'agit certainement d'un des endroits les plus ventés d'Islande. Mais idée géniale car ils ont très judicieusement canalisé l'énergie géothermique du volcan. Ainsi, le refuge est-il chauffé en permanence et même pourvu d'un… sauna, dont la température est directement liée à l'activité géothermique ainsi qu'à la pression atmosphérique du moment ! Un havre de confort et de repos inestimable dans ce coin d'Islande franchement inhospitalier..

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Sylvie nous transmet quotidiennement de précieuses données météo : directions et vitesses des vents en différents lieux et heures de la journée, ainsi qu'une prospective sur les jours à venir. Bien que ces prévisions soient assez changeantes d'un jour à l'autre, elles nous informent des meilleurs caps à suivre si l'on souhaite utiliser nos voiles dans les conditions les plus favorables possibles. En effet, puisque le manque de neige nous interdit toute possibilité de traversée de l'île, nous avons, théoriquement, tout le loisir de parcourir comme il nous plait les glaces du Vatnajökull…

Théoriquement, car la réalité est sensiblement différente : nos dernières informations nous indiquent que la partie sud-ouest du Vatnajökull est, elle aussi, très mal enneigée (la bordure du glacier ne serait que glace vive). Le quart sud-est, très montagneux, est un magnifique “terrain de jeu”, mais d'évidence un secteur exposé par mauvaises conditions, car relativement crevassé… Quant au secteur nord-ouest, qui présente a priori un profil très intéressant pour le kite (dômes et immenses glaciers peu pentus), il est le lieu d'une activité sismique régulière engendrée par un système de failles sous-glaciaires. N'étant pas parvenus à obtenir des informations précises sur les positions des zones d'effondrements glaciaires qui jalonnent ces failles, nous écartons toute velléité de progression dans cette direction…

Il ne nous reste donc plus qu'à tenter une visite de la partie nord-est de la calotte. Mais devinez d'où vient le vent : oui, du nord-est, précisément ! En pleine face !

"Ça va être laborieux !"
Nous consacrons les journées du 24 et du 25 février à remonter au vent, avec l'espoir d'atteindre la zone géothermique de Kverkfjöll, échine montagneuse séparant les immenses langues glaciaires du Dyngjujökull et du Brúarjökull, aux limites septentrionnales du Vatnajökull. Situé à près de 45 km dans notre nord-est, le site regorge de fumerolles et de solfatares. Et, détail qui a toute son importance, des eaux chaudes sourdent sur les rives d'un lac, face à un majestueux front glaciaire… Autant de sources… de motivations pour une visite en règle !

Si la chape nuageuse ne semble pas vouloir quitter les hauteurs de la calotte, nous voyons un signe positif évident dans l'affaiblissement du vent : nous sommes désormais en mesure de d'utiliser nos voiles Ozone. Sous une lumière blafarde, nous nous obstinons à grignoter quelques kilomètres vers notre destination, en alternant de grands bords NNW et ESE. Heureuse surprise : les performances dont nos voiles sont capables, Frenzy 7 et Manta 10, nous permettent de les pousser loin en bord de fenêtre (bien plus que ce nous autorisaient les Access 2 lors de notre traversée du Groenland en 2008) et de tenir des caps franchement au vent…

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Le 25 notamment, sous un ciel de plomb et une neige qui tombe dru, toujours sans visibilité aucune et par un vent se renforçant de 17 à 22 nœuds, nous parvenons à grappiller kilomètre après kilomètre. A ce petit jeu, la Manta 10 s'avère ultra performante pour peu que l'on ose la border. Mais, par plus de 40 km/h de vent, nous savons que nous n'avons pas droit à l'erreur : la voile ne doit sous aucun prétexte quitter le bord de fenêtre. Sinon, bobo…

Le 26 au matin, alors que nous ne sommes plus qu'à 12 km de Kverkfjöll, nous hésitons. Nous sommes d'accord pour tenter de poursuivre au maximum sous voile et de remonter au vent aussi loin que le relief et les éventuelles crevasses nous le permettront. Mais le vent de NNE tombe subitement et la perspective de faire ces kilomètres à pied ne nous motive guère. Aussi, déballons-nous nos Yakuzas 12, armes fatales en cas de pétole. Le temps de préparer les voiles, le vent contraire se renforce à nouveau, mettant à mal toute envie de lutte. Basta ! Nous décidons de profiter (enfin !) du vent portant pour retourner au refuge de Grimsvötn où nous pourrons faire sécher nos sacs de couchage partiellement trempés par la condensation extrême des deux derniers bivouacs…

Dans ce contexte de vent désormais totalement arrière, il nous faut, à nouveau, tirer des bords : des longs en direction du SSE et des courts vers le WNW. Ainsi veillons-nous, en raison d'une visibilité toujours très médiocre, à ne pas nous approcher trop directement de Grimsvötn et des cratères d'effondrements glaciaires qui marquent l'extrémité est de sa caldeira. A l'approche du volcan, la pente localement descendante, le retour à une neige glacée, ainsi que le renforcement du vent (effet orographique) concourent à l'accélération de notre allure. Fort heureusement, la visibilité s'améliore en dépit du crépuscule naissant. Si bien que nous distinguons désormais les crêtes de Grimsfjall. Cette fois, nous remontons sous voile la large crête orientale du volcan et, à la tombée de la nuit, nous affalons les Manta au pied du refuge. Le sauna nous attend !

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Espoir nouveau et ride au paradis du snowkiteur !
Le 28 février au matin, nous passons un coup de fil à Maxime, guide français vivant en Islande. Ses sorties quasi quotidiennes lui permettent d'avoir une idée assez précise de l'enneigement en différents secteurs de l'île. Il est formel : il vient de neiger en quantité assez importante sur Fjallabak ! Information capitale pour nous : il devient désormais possible de tenter une traversée en direction du sud. Nous plions nos bagages, et alors que le beau temps s'installe enfin sur Grimsvötn, nous quittons les lieux en tout début d'après-midi, avec la ferme volonté de rejoindre le refuge de Jökulheimar, à 50 km à notre sud-ouest.

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Le temps de tirer un bord ou deux en limite de la caldeira, et nous nous élançons sous Manta 10, par vent de NNE (cad ¾ arrière), dans un fabuleux ride vers le glacier Tungnaárjökull. Alors que les stratus recouvrent toujours la partie nord-est de la calotte, ailleurs les nuées se sont retirées. Loin dans le NNW, nous distinguons le dôme volcanique du Bárdarbunga. Au sud-est, c'est l'ensemble des sommets (dont le Kvannadalshnúkur, énorme strato-volcan et point culminant de l'Islande) qui émerge maintenant de la brume. Nous contournons les reliefs les plus méridionaux de Grimsfjall par le sud, laissons les magnifiques dômes de Háabunga et Þórdarhyrna sur notre gauche en empruntant un large col glaciaire, avant de basculer à pleine vitesse sur le versant sud-ouest du Vatnajökull.

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Émerveillement de contempler enfin tous ces reliefs, ces proéminences, ces vastes étendues glaciaires et, au loin, les montagnes des Plateaux Centraux. Bonheur de dévaler les pentes, parfois à plus de 50 km/h, dans un parfait flux de NE. Libérés des contraintes d'une navigation rigoureuse en milieu hostile, nous enchaînons les loops comme aux plus belles heures de nos grandes traversées…
Groenland revival !

Le vent tombe lorsque nous arrivons sur la bordure du Tungnaárjökull, prémices d'un nouveau changement météo. Nous plions les voiles et échangeons les skis contre les crampons : la neige a totalement disparu, nous progressons désormais sur la glace vive du glacier, puis sur la glace vitrifiée de la rivière Tungnaá. A l'est, une lune pleine, énorme, rousse, a surgi. A 20 heures, à la lumière des frontales, nous bouclons cette magnifique étape au refuge de Jökulheimar.

Énorme frustration !
Les 1er, 2 et 3 mars, nous descendons le cours de la rivière Tungnaá. La quasi absence de neige sur son cours supérieur nous oblige parfois à progresser crampons aux pieds. Paysages, lumières et texture de la glace sont magnifiques, mais le cheminement à travers les collines est long et laborieux. Plus loin, la couche qui ploie sous mes skis me fait un instant douter de la sécurité de notre progression. Quelle épaisseur de glace pour quelle profondeur d'eau sous nos spatules ?

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Le 2 mars, le temps est à nouveau au gris, avec un vent soutenu de sud-est. Turbulent, parfois portant, parfois contraire selon la disposition des montagnes qui bordent le cours de la rivière, il n'apporte aucune solution intéressante à nos diverses tentatives de progression sous voile. Nous déplions et replions les ailes à maintes reprises. Mais force est de constater qu'il vaut mieux marcher si l'on veut vraiment gagner du terrain vers le sud…
Le 3, le vent tourne au sud-ouest : cette fois, on l'a en plein dans le "pif" ! Énorme frustration, car avec le retour du soleil dans un temps de traîne, les lumières et les lieux sont d'une beauté saisissante.

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Pouvoir kiter la rivière Tungnaá par vent portant est un rêve que nous fantasmons à chaque instant : quelques heures suffiraient pour couvrir les 60 km qui séparent Jökulheimar de Landmanalaugar, sans effort majeur et dans un paysage idyllique de collines ornées de prodigieuses congères… Au lieu de cela, nous avançons pas à pas, tractant nos pulkas comme Sisyphe pousse son rocher…

Islande, le pire et le meilleur réunis !
Le 4 mars au matin, nous plongeons dans la rivière d'eaux chaudes (sa température oscille entre 39 et 43 °C !) née de la coulée de lave Laugahraun, sur le site de Landmanalaugar. Moment de bien-être total, savouré dans la solitude de ces lieux tant fréquentés durant la saison estivale.
N'ayant plus le temps de poursuivre notre traversée plus au sud, nous prenons la direction du nord-ouest, à travers collines et champs de lave. Le vent, toujours de secteur sud-ouest, apporte une douceur redoutée. Il pleut, la neige fond presque à vue d'oeil, des litres d'eau stagnent au fond des pulkas, le mur de neige haut d'un mètre cinquante édifié le soir - pour nous protéger du vent - s'écroule nuitamment sur la tente… Bérésina ! Au sud des barrages de Sigalda, le Land Rover de notre ami Gabbi nous attend. Nous sommes le 5 mars, il est temps de rentrer…

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Détails de cette expédition en Islande
fleche_droite.png 20 février - 05 mars 2010.
fleche_droite.png Traversée du Vatnajökull d'est en ouest, de Jöklasel à Jökulheimar, en passant par Grimsvötn et le Dyngjujökull, puis descente de la rivière Tungnaá, via Landmanalaugar, jusqu'au complexe hydroélectrique de Sigalda.
fleche_droite.png Kilomètres parcourus (de camp à camp) : 235 km (beaucoup plus en réalité…)
fleche_droite.png Voiles : Ozone Acces XT 4, Ozone Frenzy FYX 7, Ozone Manta M3 10, Ozone Yakuza 12, Beringer S8, Beringer S5. Surface de voiles emportées : 92 m2 !
fleche_droite.png Pulkas Snowsled (3 chacun), skis Movement Gladiator et Powpow, fixations Dynafit TLT speed et Vertical, tente North Face VE 25 et Mountain 25 (rechange)…
fleche_droite.png 2 semaines d'autonomie.

Nous tenons à remercier tous ceux qui nous ont aidés, d'une manière ou d'une autre, en France comme en Islande, à mener à bien cette aventure ; En particulier nos partenaires : Kite Ozone, Snowsled, Terres Oubliées.

Textes : Michael Charavin. Photos : Michael Charavin & Cornelius Strohm

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