Kungsleden : “King of the Trails” Suède > Kebnekaise / Kungsleden : Abisko - Nikkaluokta

Estelle

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Durée : Plus de 4 jours

Difficulté : Moyenne

Pulka : accessible

En 1900, l’association de trekking suédois (STF) conçoit un grand sentier de randonnée qui s’étend sur toute la partie nord des montagnes suédoises. Abisko Mountain Station, située sur les rives du Torneträsk est inaugurée en 1902.

Ce refuge au cœur des montagnes suédoises devient le premier point concret du chemin des Rois. Un an plus tard, la cabane d’Abiskojaure et une autre au pied du Kebnekaise sont construites. Dès 1926, les scouts procèdent au marquage du sentier entre ces trois points. En 1930, l’itinéraire est nommé « Kungsleden ». Depuis les randonneurs du monde entier s’aventurent été comme hiver sur ce tracé au cœur de la Laponie Suédoise.

En mars 2009, Estelle, attirée par le Grand Nord se lance dans la grande aventure. Armée de sa pulka, elle décide de partir seule sur le tracé des Rois. Elle nous fait le plaisir de nous raconter dans les détails son expérience hivernale en randonnée nordique !

« Voici le récit de mon « aventure » en Laponie : ma première randonnée nordique en solitaire. Je suis partie une dizaine de jours en Suède, sur la Kungsleden. Une première expérience qui aura été à la fois plaisante et instructive ! » Estelle

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Mardi 17 mars 2009

Paris – Copenhague – Stockholm – Lulea – Kiruna

Lever à 4 heures du matin pour une journée spéciale effet de serre, puisque je réussis à totaliser 4 décollages et atterrissages en une vingtaine d’heures : aïe… Les notes positives de cette journée : j’arrive à transporter à la fois mes skis et mon gros sac d’expé, qui s’avère ne peser que 17 kg ; et surtout je profite de l’après-midi d’escale à Stockholm pour visiter un peu la ville… même si je n’ai pas vraiment la tête à ça : je veux juste commencer à skier !
J’arrive finalement vers minuit à Kiruna, puis un taxi m’emmène à l’auberge de jeunesse où je passe une courte nuit.

Mercredi 18 mars 2009

Kiruna – Abisko – lac Abeskojavri

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La matinée se fait au pas de course : je voudrais attraper le train pour Abisko à 9h46, mais acheter auparavant mes vivres pour ma rando au supermarché qui n’ouvre qu’à 9 heures. Je cours dans les allées en attrapant au vol céréales, pâtes et autre lait en poudre, avant d’entasser le tout tant bien que mal dans mon sac et de retraverser la ville jusqu’à la gare. Pas évident de courir dans les rues verglacées tout en portant les skis, le sac d’expé, et le sac à dos. Je réussis à ne glisser qu’une fois, à ne pas (trop) me perdre, et à me jeter dans le train dont les portes se referment juste après mon passage. Ouf !

Le train parcourt un superbe paysage pour m’emmener à Abisko. Je commence à me sentir à la fois sereine et enthousiaste : ça y est, je suis en Laponie, l’ « aventure » peut commencer. A Abisko, je récupère ma pulka de location et fais quelques courses pour compléter mon équipement. Je me renseigne sur la météo, et le loueur de pulka m’explique qu’il va y avoir beaucoup de vent et de neige dans les jours qui viennent, mais qu’il ne fera pas trop froid. Je lui fais remarquer sur le ton de la plaisanterie, que ça pourrait donc être pire, et il me répond assez sérieusement « up here, it can always be worse ». Bon…
J’organise ma pulka en équilibrant le chargement et en l’organisant de façon à peu près logique. Enfin, il est presque 13 heures, je suis prête à partir. Le vendeur au magasin me dit qu’il faut compter entre 3 et 6 heures pour aller jusqu’au premier refuge, et que la nuit tombe vers 19 heures. En théorie, j’ai le temps, et je sais que je peux de toute façon m’arrêter avant pour bivouaquer. Il commence à neiger, et je me mets en route.
Voici donc le début de la Kungsleden. Juste avant de passer sous une sorte d’arche, il faut franchir une petite bosse qui doit à peine faire un mètre de hauteur. C’est l’occasion de me rendre compte qu’avec mes skis qui sont trop grands pour moi, et ma pulka qui doit faire dans les 25 kilos, la moindre montée est périlleuse. Je n’ai pas encore mis mes peaux de phoque, et j’ai l’impression d’être violemment tirée en arrière dès que j’essaie de monter. Après m’être retrouvée deux ou trois fois à plat ventre dans la neige, sous les yeux perplexes de trois touristes, j’opte pour la technique en escalier et je peux enfin franchir l’arche et entamer ma randonnée.

La piste officielle balisée passe dans la forêt, mais pour plus de facilité je suis la rivière gelée. Comme il vient de neiger et qu’il y a un peu de vent, la neige est intacte et je fais ma propre trace.
Je franchis un passage un peu hasardeux : ce n’est plus de la neige mais de la glace, ce n’est plus une rivière gelée mais une sorte de petite cascade, et je me rends compte que j’aurais du quitter la rivière avant que les choses se corsent : la glace n’est pas épaisse, j’entends l’eau couler dessous, et comme je suis obligée de déchausser dans un passage étroit barré par un tronc d’arbre je me fais même une petite émotion quand mon pied s’enfonce un peu sous la glace, dans l’eau, de quelques centimètres.

Je décide de revenir à la piste et zigzague un peu dans la forêt avant de la retrouver. Le temps reste variable, une alternance d’éclaircies et de petites averses de neige.
La piste ne comporte pas vraiment de dénivelé mais plusieurs petites montées de quelques mètres, qui sont à chaque fois une épreuve car ma pulka me tire fortement en arrière. J’en arrive à déchausser pour pouvoir avancer plus efficacement.
J’arrive au bord du lac Abeskojavri. Un panneau indique que la traversée sur le lac gelé se fait à mes risques et périls. Après mon expérience du pied dans l’eau, et avec la fatigue qui commence à s’installer, je ne me sens pas vraiment rassurée. Le refuge est encore à quelques kilomètres, environ une heure de marche encore. Je décide donc que cette journée a été suffisamment bien remplie, et j’installe mon premier bivouac au bord du lac.

C’est l’occasion de tester mon matériel. Je monte ma tente sans souci, mais le réchaud me pose plus de problèmes. Je ne sais pas exactement quel carburant j’ai acheté (j’ai fait confiance au vendeur qui ne connaissait pas le nom anglais de ce qu’il m’a conseillé, mais m’a affirmé que c’était ce dont j’avais besoin), et quand je veux démarrer le réchaud la flamme s’éteint systématiquement au bout de quelques secondes. Je sais que le gicleur est différent selon le carburant utilisé, et cherche donc le petit kit de réparation pour changer la pièce. Au passage, je prends ma lampe frontale, car la nuit commence à tomber. Bizarrement, elle n’a déjà plus de piles (se serait-elle allumée à mon insu dans le sac ?), et il faut que je récupère mes piles de rechange avant de pouvoir enfin m’éclairer, changer le gicleur, et finalement obtenir la flamme qui va me permettre de faire fondre la neige et préparer mon eau pour, enfin, faire cuire mon repas.

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Cette première journée a été seulement une courte étape, et je me rends compte que, comme je m’y attendais, l’effort physique est important. Il fait -9°C. Je m’emmitoufle dans mon sac de couchage pour une nuit réparatrice.

Jeudi 19 mars 2009

Abeskojavri – Abiskojaure - Radunjarga

Réveillée par la lumière et le froid vers 5h30, je traine volontairement pour que l’air se réchauffe un peu avant que je parte, et me mets en route vers 8h30. J’espère couvrir environ 25 kilomètres jusqu’au refuge d’Alesjaure, ce qui devrait représenter entre 7 et 8 heures de marche d’après mes estimations.

Je passe le refuge d’Abiskojaure au bout d’une petite heure, et ne m’y arrête pas. Entre nuages et éclaircies, les premières heures se déroulent tranquillement. J’appréhende la longue montée qui m’attend un peu plus loin : 300 mètres de dénivelé… Ça mérite les peaux de phoque, et je profite d’une éclaircie pour les sortir. Je ne vais pas le regretter : même sur le plat, ça me parait tout de suite beaucoup plus facile, j’évite le léger recul qui se produisait à chaque pas. Quant à la montée, elle me paraît mille fois plus facile que prévu. Il suffit de gérer le souffle, mais il est possible d’avancer, et la pulka ne me fait plus perdre systématiquement la moitié de la hauteur gravie. Quel soulagement ! C’est donc remplie d’optimisme que j’arrive sur le plateau qui doit me faire traverser un des plus beaux paysages du parcours.

Mais c’est à ce moment-là que le vent se lève. Je le prends en pleine figure. Je ne sais pas s’il neige ou si c’est le vent qui soulève la poudreuse, le fait est que de gros flocons me fouettent le visage, et que mes cheveux, mon masque, mes gants se couvrent d’une fine couche de glace. Le vent forcit et je dois fournir un effort très important pour arriver à avancer. Je vérifie ma moyenne sur mon GPS : ce n’est pas qu’une expression, je vais à 2 à l’heure… Je n’y vois plus rien, je suis entourée de Blanc, je ne vois que les grosses croix rouges qui jalonnent le chemin : elles qui m’avaient semblé superflues voire vraiment laides la veille, je suis aujourd’hui vraiment rassurée de les voir. J’avance, péniblement, lentement.

Il est 13 heures, je sais qu’il faudrait que je mange mais le vent est si fort que je n’ai aucune envie de m’arrêter. Je voudrais attendre d’être à l’abri du vent pour pique-niquer. La fatigue s’accumule, je me rends compte que je trébuche de plus en plus souvent et que la prudence m’impose de m’arrêter : je m’oblige à faire une petite pause pour me ravitailler. Je tourne le dos au vent, mets ma grosse veste en duvet, m’assieds sur ma pulka, et sors en vitesse un peu de pain et de fromage et du thé que je me force à avaler.
Quand je repars, j’ai les mains glacées, et les larmes me montent aux yeux de douleur lorsque la circulation revient progressivement. J’avance de plus en plus difficilement : j’ai beau y mettre toutes mes forces, j’ai l’impression de faire du sur-place. En plus, les traces de skis que je suivais sur la première partie de la journée ont été effacées par la tempête, ce qui augmente l’effort à fournir pour faire avancer à la fois mes skis et la pulka. J’arrive à un panneau qui m’annonce que je n’ai parcouru que 15 km, et qu’il m’en reste encore 10 ! Je me sens découragée. Je me répète mentalement que je savais que cette randonnée ne serait pas facile, que c’est juste un mauvais moment à passer… Je commence à réfléchir au moyen de monter ma tente dans cette tempête, car arriver jusqu’au refuge à ce rythme va me prendre tout l’après-midi voire le début de la soirée. Mais il y a bien trop de vent pour pouvoir monter ma tente, je ne suis pas sure d’en être capable…

Vers 15 heures, je distingue une tâche sombre dans le blanc : un rocher, ou une habitation ? J’ai d’abord du mal à y croire, mais pas de doute, c’est bien une cabane ! J’y entre résolument, prête à quémander l’hospitalité si je suis chez quelqu’un. Excellente surprise, c’est un petit abri, et une petite pancarte me souhaite même la bienvenue - enfin, de ce que je comprends du Suédois, il souhaite la bienvenue aux chaussures propres : je me débarrasse de mes chaussures et me considère donc acceptée. Quel soulagement ! Si je n’étais pas si épuisée, je sauterais de joie. Il y a même un poêle dans lequel, ô miracle, quelques braises laissées par les précédents occupants rougeoient encore. Certes, il ne fait que 2°C dans la pièce, mais j’enfile des vêtements secs, me prépare un thé chaud, et décide de passer la nuit dans l’abri même s’il n’est pas vraiment prévu pour.

Je passe le reste de l’après-midi à couper du bois pour alimenter le poêle, à essayer de réparer la porte (qui, fermant mal, avait laissé s’engouffrer une dizaine de centimètres de neige dans le sas d’entrée en une petite heure : j’arrive finalement à gratter la glace qui gênait la fermeture). Je reste un peu abasourdie par la violence de ce vent : même si je m’y étais préparée, cette journée m’a vraiment épuisée physiquement et mentalement.
J’apprendrai à la fin du séjour que la tempête a été si forte ce jour-là que les routes pour Abisko ont été coupées : ce n’était donc pas qu’une impression…

Vendredi 20 mars 2009

Radunjarga – Alesjaure

Je me réveille une fois de plus à l’aube, pour constater que le temps est toujours aussi exécrable. Rien que les 10 mètres qui séparent l’abri de la cabane des toilettes suffisent à couvrir de glace les poils de ma capuche. Je décide de consacrer cette journée au repos, et de ne faire qu’une courte étape jusqu’au refuge d’Alesjaure, qui n’est qu’à 7 km de l’abri.
En attendant que le vent se calme, je coupe du bois, prépare mon petit-déjeuner, rallume le poêle… Toutes ces petites activités domestiques me permettent aussi de me réchauffer. Il fait 5°C dans la cabane.

Vers 10 heures arrivent un couple de Norvégiens, puis deux Français qui font un périple de deux mois : ils sont admiratifs de ma petite randonnée en solitaire, alors que je les contemple avec des yeux ronds, impressionnée par leur projet. Ils viennent tous les quatre d’Alesjaure, ce qui va me permettre d’utiliser leur trace. Comme le ciel a l’air de s’éclaircir un peu, je me mets en route.
Le vent a un peu faibli, et a surtout tourné : il arrive de côté et non plus de face, ce qui facilite grandement ma progression. J’ai même droit à trois « éclaircies » de quelques minutes au cours des 3 heures qui me séparent d’Alesjaure.
La trace a finalement déjà été effacée par le vent et la neige. Je skie dans une épaisse couche de poudreuse : j’avance difficilement, et la pulka aussi.
Je me rends compte en décrivant ces deux jours que mon récit peut paraître excessif, mais il y a vraiment une bonne part de souffrance dans mon effort, qui prend parfois le pas sur le plaisir, et j’ai besoin de toute ma motivation pour ne pas perdre courage. J’avance, je tire, je m’essouffle… J’ai faim, mais le vent et la neige m’ôtent l’envie de faire une pause. Je constate que je suis épuisée en voyant à quelle fréquence je perds l’équilibre. Je n’arrive pas à penser vraiment à autre chose qu’à chaque pas.

Quel soulagement quand je distingue finalement le refuge dans tout ce Blanc ! Une éclaircie se profile et je pense avec un peu de dépit que j’aurais pu en profiter un peu, mais le vent et la neige reprennent de plus belle après quelques minutes, et j’annonce sans regret à la gardienne que je souhaite rester pour la nuit. J’aurai finalement parcouru en trois jours ce que je pensais faire en deux jours, mais au fond je ne suis pas pressée puisque j’ai volontairement prévu un parcours très flexible.

Je découvre les refuges suédois. C’est immense : la réception, les chambres et la cuisine, la cabane de sécurité, la remise à bois, les toilettes… et le sauna ! Tous ces bâtiments sont assez éloignés les uns des autres, ce qui n’est pas très agréable avec ce temps. La gardienne m’explique le fonctionnement : où aller chercher de l’eau (à 500 mètres, il y a un trou dans la rivière), couper du bois, comment faire fonctionner le sauna…

Le refuge est assez rempli : plusieurs personnes y ont en fait passé la journée en attendant la fin de la tempête, et c’est une intersection entre deux itinéraires différents. Je discute un peu avec un groupe de Danois, et avec une Suédoise.
Je profite avec bonheur des conforts du refuge : le sauna, qui me permet de me laver (luxe que je n’avais pas espéré), la cuisine où je peux utiliser le gaz et la vaisselle pour mon repas , ma chambre, qui est en fait un dortoir que j’occupe seule, et que je chauffe avec le petit poêle que je remplis de bois avant d’aller en couper un peu plus, puis d’écrire mon journal à la lueur de la bougie.Dehors il ne fait que -4°C.

La soirée me réserve une dernière frayeur : trouver le chemin de ma chambre depuis les toilettes, de nuit, avec la neige tombant vers moi à l’horizontale, s’avère plus difficile que prévu, et je manque de me perdre en route ! Je comprends à présent ces anecdotes sur des alpinistes retrouvés morts de froid à quelques mètres de leur tente parce qu’ils sont sortis en pleine tempête et n’ont pas retrouvé leur chemin.

Samedi 21 mars 2009

Alesjaure – Tjäktja

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Je pars de bonne heure sous un ciel plus clément. Suivant les conseils du gardien du refuge, je quitte la piste balisée pour suivre la rivière Aliseatnu.

Le temps s’améliore et le plaisir reprend enfin le pas sur la souffrance. A présent, la difficulté ne vient plus du vent, mais uniquement de l’épaisseur de la couche de poudreuse dans laquelle je dois faire la trace. Malgré mes skis, j’enfonce parfois jusqu’aux genoux. Avancer dans ces conditions est difficile pour moi, et tirer la pulka encore plus.

Un groupe de trois Hollandais est parti quasiment en même temps que moi du refuge. Je les aperçois derrière moi de temps à autre. Vers midi, je m’arrête pour les laisser passer devant moi : à leur tour de faire la trace ! Ils me remercient d’ailleurs au passage, c’est vrai qu’avec la pulka je tasse bien la neige, ce qui leur a grandement facilité la matinée. De mon côté, je me fais une petite pause pique-nique en profitant d’une accalmie. Le vent se remet à souffler juste quand je finis ma tasse de thé.
Je me rends compte ensuite à quel point utiliser la trace des Hollandais change la donne pour moi. Le seul véritable effort est la traction de la pulka, celui de ma propre progression est largement amoindri. J’ai remarqué d’ailleurs que de nombreux randonneurs n’ont pas de pulka mais seulement un sac à dos. Cela aurait impliqué pour moi de me passer d’une bonne partie de mon matériel, par exemple tente et sac de couchage en comptant uniquement sur les refuges. C’est un peu plus dur de tirer la pulka mais je ne regrette pas ce choix, qui préserve ma liberté.

Petit à petit, je me forge une expérience pour optimiser ma progression. J’apprends à repérer la neige plus dure sur laquelle j’avance mieux ; je m’habitue au changement de sensation en deux temps lorsque j’arrive dans une zone difficile comme une montée ou de la poudreuse : d’abord mes skis sont ralentis, puis quelques secondes plus tard c’est ma pulka qui se manifeste. Parfois, je vérifie qu’elle ne s’est pas retournée tant elle me semble lourde – mais c’est bien son poids normal… J’apprends aussi à gérer le redémarrage après une pause : je commence par me pencher en avant pour donner un petit élan à ma pulka et éviter de concentrer tout l’effort sur mes quadriceps pour le premier pas.

Il est encore tôt mais je suis soulagée quand j’arrive en vue du refuge de Tjäktja. Ces premiers jours sont décidément assez éprouvants, et je n’envisage pas de continuer pour aujourd’hui. D’ailleurs, le temps se dégrade à nouveau au moment où je pénètre dans le bâtiment.

C’est un plus petit refuge que la veille, et nous y sommes moins nombreux : seulement les trois Hollandais et moi. Je leur donnais une soixantaine d’années, j’apprendrai plus tard qu’ils ont entre 72 et 75 ans ! Ils sont assez étonnants, et sympathiques.
Je suis toujours fatiguée mais plus sereine que la veille. La journée a été vraiment agréable : dès que le vent tombait, le plaisir était entier, et j’ai même eu un peu de soleil, ce qui me remplissait d’enthousiasme et d’énergie. On annonce une forte baisse de température pour la nuit. Ca m’est égal : j’ai compris que c’est le vent que je crains, pas le froid.

Dimanche 22 mars 2009

Tjäktja - Sälka

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C’est un ciel bleu et un grand soleil qui m’accueillent quand je sors du refuge ce matin. Pas un souffle de vent. Quel bonheur de skier dans ce désert blanc !
Sans le vent, l’expérience est radicalement différente, et une pensée me traverse l’esprit : « ça y est, je me souviens ce que je suis venue faire ici »…

Les Hollandais sont partis peu de temps avant moi et je suis leur trace, en passant par le col de Tjäktjapasset qui est le point culminant de mon itinéraire.
La descente après le col est une partie de plaisir, je ne fournis pratiquement aucun effort, la pulka glisse doucement derrière moi, je chantonne et souris au soleil. Après la galère des premiers jours, je suis d’autant plus consciente de ma chance. Il fait tellement beau et chaud que je quitte même mes gants.

Vers midi, je vois les Hollandais à quelques centaines de mètres devant moi, visiblement en train de pique-niquer. D’humeur sociable, je décide de les rattraper pour faire une pause avec eux. J’avance dans la poudreuse mais, soudain, je trébuche, et mon pied droit s’enfonce à côté de mon ski : je me retrouve avec de la neige jusqu’à mi-cuisse. Plus de peur que de mal, heureusement. Que s’est-il passé ? Une fois ma jambe extirpée de la neige, je me rends compte que le métal de ma fixation s’est rompu à la base.
Quelle catastrophe ! J’en pousse littéralement un cri d’horreur. Si je n’ai plus de fixation, c’en est fini de mon aventure ! Puis, reprenant mes esprits, j’attache vaguement mon pied au ski avec la lanière et décide de rejoindre les Hollandais pour au moins les avertir de mon problème.
Tout en boitillant vers eux, j’essaie de positiver : heureusement que ça ne m’est pas arrivé en pleine tempête… Mieux vaut casser un ski qu’une jambe… Et je ne suis qu’à 5 km du prochain refuge, je pourrais au pire finir le trajet à pied…
Je rattrape les Hollandais, ski gauche au pied et ski droit à la main. Ils m’aident à faire une réparation de fortune, en attachant un gros lacet vert sur la partie cassée. J’avance de quelques mètres : ça tient ! Ils repartent devant moi et je leur demande de prévenir le gardien si je ne suis pas arrivée avant la nuit. Car je suis toujours un peu inquiète : le ski gauche risque de me jouer le même tour.

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Je continue ma route sans encombre et toujours sous un soleil radieux. J’arrive à ne pas penser à ce problème de fixation et je profite pleinement du spectacle qui s’offre à moi. La vallée enneigée est magnifique.
Je croise une jeune femme seule avec une pulka : elle ne transporte pas de tente et dort uniquement dans les refuges ; elle est en route depuis un mois, et a hâte d’arriver à Abisko.
Ma fixation rafistolée me rend un peu peureuse et je préfère m’arrêter pour la nuit au refuge de Sälka plutôt que de continuer et bivouaquer plus loin pour profiter du beau temps. C’est un peu frustrant, mais je veux vraiment éviter de me retrouver coincée au beau milieu de nulle part avec des skis cassés.

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Lundi 23 mars 2009

Sälka- Singi

La journée s’annonce encore superbe, et je quitte le refuge le cœur léger. Il fait -17°C.
En chemin, je redeviens optimiste : cette réparation a l’air de tenir le coup, et je ne vais peut-être pas être obligée d’écourter mon parcours. J’espère pouvoir passer Singi et aller plus au Sud, avant de remonter vers Nikkaluokta. Si le temps reste aussi beau (ou même un peu moins, au fond), je vais pouvoir faire plusieurs dizaines de kilomètres en plus de l’itinéraire minimal qui relie Abisko à Nikkaluokta. Mon avion n’est que lundi, je peux même skier jusqu’à dimanche

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Ce rêve s’effondre d’un coup, en même temps que ma fixation gauche. Cette fois ce n’est pas dans de la poudreuse, c’est sur une zone plate et facile que mon pied se retrouve soudain à côté de mon ski. J’avais anticipé en demandant un peu de cordelette à la gardienne du refuge et j’attache mon pied sans trop de problème, mais je sais qu’il n’est pas raisonnable de continuer trop longtemps seule dans ces conditions.

J’arrive au refuge de Singi très tôt, il est à peine 13 heures. J’y laisse mes skis et pars me promener à pied dans une zone de neige dure et de rochers.

Il fait si beau… Je me sens triste et nostalgique : c’est la fin de mon périple. Je vais rejoindre Nikkaluokta le plus rapidement possible. Mon dernier espoir, c’est la prochaine étape à Kebnekaise Fjällstation : c’est une minuscule station de ski, où il y a un magasin de sport dans lequel je trouverai peut-être une solution pour mes fixations.

Mardi 24 mars 2009

Singi - Kebnekaise Fjällstation

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Il fait -11°C quand je quitte le refuge, vers 8 heures. Je passe la première heure à rattacher sans arrêt ma fixation gauche, dont la réparation n’est pas aussi efficace qu’à droite. C’est non seulement un peu agaçant mais surtout inquiétant et je commence à me demander si je ne vais pas devoir aller à pied jusqu’à Kebnekaise Fjällstation. Heureusement je finis par trouver le moyen de faire tenir le ski correctement.

Je descends dans la vallée, à l’ombre la plupart du temps. J’arrive dans une zone marécageuse gelée, sur laquelle la neige a été complètement soufflée par le vent. La glace est à nu, et j’ai du mal à trouver mon équilibre. Quant à la pulka, elle dérive à sa guise et au gré du vent, ce qui ne me simplifie pas la tâche.
Je passe aussi dans des zones très rocailleuses, et je dois faire des détours pour pouvoir passer avec ma pulka. Heureusement, j’arrive toujours à trouver des passages où il y a suffisamment de neige. Je m’imaginerais mal devoir quitter mes skis et porter ma pulka !

J’arrive assez tôt à Kebnekaise Fjällstation. Ce n’est pas du tout une station de ski comme on les connaît en France. Pas de remontées mécaniques, pas de moteurs à part quelques motoneiges. Les activités sont le ski de randonnée, l’escalade, les raquettes.

L’auberge est tout de même nettement plus confortable qu’un refuge, et j’apprécie tous les conforts du quotidien auxquels on ne prête pas attention : se laver les mains à l’eau courante et avec du savon, aller aux toilettes sans devoir auparavant s’équiper pour sortir dans le froid, faire la vaisselle dans un évier… Je remplis aussi ma mission de facteur, car la gardienne du refuge de Singi m’a confié des cartes postales laissées par des randonneurs que je mets à la boîte aux lettres. Et je passe même quelques coups de téléphone pour prévenir que je vais bien. Le retour à la civilisation a quand même du bon.
Mais surtout, je confie mes skis au magasin de sport. Le vendeur me promet d’essayer de trouver une solution et me dit de repasser le lendemain matin. Il y aurait un espoir ? Au pire, je pourrai toujours louer des skis et partir pour une randonnée à la journée.

Je fais mes adieux aux Hollandais, qui repartent le lendemain en taxi-motoneige : ce service est assuré entre Kebnekaise Fjällstation et Nikkaluokta. Je m’étais habituée à les voir chaque soir et ça me rend déjà un peu nostalgique de les voir partir.

Mercredi 25 mars 2009

Kebnekaise Fjällstation – Tarfäla - Kebnekaise Fjällstation

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Le vendeur du magasin de sport a trouvé une pièce plastique qui peut me dépanner un peu. Clairement, ce n’est pas la solution miracle que j’espérais - mais ça va me permettre de faire quelques kilomètres de plus.

Je n’ai plus qu’une journée de ski jusqu’à Nikkaluokta. Je décide donc de rester une journée à Kebnekaise Fjällstation et de faire l’aller-retour jusqu’au refuge de Tarfäla. Le paysage est différent de ce que j’ai vu jusqu’ici, plus boisé.
Je monte jusqu’à Tarfäla en longeant un petit ruisseau. Je ne croise personne à part deux skieurs, à proximité du refuge. J’espérais voir des animaux mais je n’en aperçois pas un seul.
Je me sens toute légère sans ma pulka, les sensations sont vraiment différentes. A la descente, je prends tout de suite de la vitesse, et je réussis à tomber trois ou quatre fois (à ma décharge, mes skis sont trop grands, et les fixations branlantes ne m’aident pas vraiment à garder un bon équilibre). En tout cas, la réparation tient à peu près : je ne vais pas être obligée de recourir aux services du taxi-motoneige, je devrais pouvoir faire la dernière étape jusqu’à Nikkaluokta à skis.

Le soir, je rencontre dans la cuisine commune (où je me cuisine une fois encore un plat de pâtes, et je commence à saturer) tout un groupe de Français venu pour le mariage d’un couple d’amis dans la chapelle de glace à Kiruna. Ils sont une dizaine, assez sympas, l’un d’eux me prête un peu de cordelette pour le cas où mes fixations me referaient des misères.

Jeudi 26 mars 2009

Kebnekaise Fjällstation - bivouac

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Je sens que mes muscles sont fatigués. Je décide de faire durer le plaisir et de scinder en deux ma dernière étape pour bivouaquer une dernière fois dans la neige. D’ailleurs, après avoir passé deux nuits dans un dortoir rempli de gaillards qui ont transpiré toute la journée, j’ai bien envie de retrouver ma paisible tente.
Cette dernière portion a un côté un peu frustrant : je suis la piste de motoneige. Elle n’est heureusement pas trop fréquentée.

Je longe le lac sous un grand soleil. Toujours aucun animal en vue. Pourtant je crois une multitude de traces : des lièvres, des rennes, et même (je crois) un élan.
Comme j’ai du temps devant moi, je me concocte un bivouac particulièrement soigné. Je m’éloigne bien sur de la piste, je me déniche une belle clairière, où je commence par creuser un grand trou dans la poudreuse : c’est au fond de ce trou que j’installe ma tente. Ca me permet d’être à l’abri du vent, d’éviter l’enfoncement inégal dans la poudreuse (on a beau tasser la neige, on se retrouve toujours avec un sol inégal une fois couché !), et de planter correctement mes piquets dans un sol dur.

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J’ai fini mon livre, j’ai du mal à écrire car j’ai trop froid aux doigts, si bien que je passe la fin de l’après-midi à simplement contempler le paysage autour de moi – et sautiller pour me réchauffer un peu. Le soir venu, je savoure mon dernier plat lyophilisé.

Vendredi 27 mars 2009

Bivouac - Nikkaluokta

Et cette dernière nuit aura été assez mémorable, je pense que c’est la plus froide de mon voyage. Il fait -9°C dans la tente quand je me réveille. Quant à la température extérieure, je n’arrive pas à la mesurer, car ma montre dont la pile est usée s’éteint quand je la soumets à un froid trop intense.
Je rejoins rapidement la piste puis avance tout doucement pour profiter de mes derniers moments à skis.

Je commence à croiser quelques skieurs, qui arrivent de Nikkaluokta et commencent tout juste la Kungsleden. Puis je vois des bâtiments, et finalement le village. Ce n’est pas très grand et j’arrive vite à l’arrêt de bus, où je vais attendre quelques heures avant de reprendre la route pour Kiruna.
Je vide ma pulka et la prépare pour la renvoyer au loueur (elle prend le même bus que moi). Et je me retrouve de nouveau avec mon sac, mes skis à la main, tout comme une semaine auparavant. Ca fait un drôle d’effet de marcher à pied sur un sol déneigé !

C’est la fin de ma randonnée. L’ironie du sort voudra que je finisse par voir un renne… sur le bord de la route, depuis la fenêtre du bus ! Puis, c’est le retour à Kiruna, avec une bonne galère car tous les hôtels sont complets : j’erre à travers la ville avec tous mes bagages, et cette fin de rando a décidément un air un peu glauque… Finalement j’arrive à me poser, et je profite de quelques jours à Kiruna avant de reprendre l’avion pour Paris.

Et voilà donc la fin de ce qui était à mon échelle une belle aventure. Ce que je changerais si c’était à refaire : mes fixations, bien sur !! Et je prendrais une paire de raquettes de dépannage !


Mon équipement : (un grand merci à Maureen et Sylvain qui m’ont prêté une grande partie du matériel) : skis Forester, fixations Stubai (on aura compris que je ne les recommande pas), pulka Fjellpulken louée à Abisko, tente North Face, réchaud MSR, sac de couchage Valandré Odin…

Nourriture : je n’ai pas le détail mais en gros lait en poudre et muesli pour le petit déjeuner, pain polaire et fromage pour le déjeuner, et pâtes à l’eau ou plats lyophilisés le soir, fruits secs et barres de céréales en en-cas, et surtout du thé chaud dans mon thermos toute la journée !

Liens utiles :
fleche_droite.gif Association de Trekking Suédois : www.svenskaturistforeningen.se
fleche_droite.gif Météo suédoise : www.smhi.se
fleche_droite.gif Hébergement & location de pulka et skis à Abisko : www.abisko.nu


www.skirandonnenordique.com remercie Estelle d'avoir publié ce récit plein d’enseignements pour nous tous.


Crédits texte & photos : EstelleSite internet : http://www.getjealous.com/Estellekungslede

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