Sarek : à la rencontre d’un territoire Suède > Sarek

Régis Cahn

Régis Cahn

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  • author: Régis Cahn

Durée : 2 à 4 jours

Difficulté : Moyenne

Pulka : non accessible

Les contrées glacées sont, pour nous autres, sources d’inspiration et d’évasion. Nos motivations sont bien souvent différentes, mais ces lieux désertiques et grandioses nous rapprochent.

Skirandonnenordique.com se réjouit de pouvoir vous conter des histoires. Qu’elles soient humaines, sportives ou concernant la nature, c’est toujours un plaisir de transmettre des souvenirs et des émotions. Nos terrains enneigés, bien que transits par le froid sont toujours traversés par la vie. Régis Defurnaux témoigne. C’est un habitué des grands espaces blancs… Nous l’avons questionné, au coin du feu !

Régis Defurnaux, 32 ans, vit en Belgique dans un petit village à l'entrée du Condroz belge, une région de bois, de vallées dominées par les buses et les faucons crécerelles. Il a trois enfants avec sa magnifique épouse et une vie très active.

Régis Defurnaux - Sarek - Suède

Interview :

SRN : quel est ton métier ?

Régis D. : je suis historien et philosophe. Je travaille dans le milieu académique et suis ce qu'on appelle un "assistant" au département "Sciences, philosophies, sociétés" à l'Université de Namur. La moitié de mon temps est consacrée à organiser des séminaires ou à donner des cours; l'autre moitié à faire de la recherche en philosophie de la Nature et en éthiques environnementales. Par ailleurs, je suis photographe et réalise de multiples travaux qui touchent tous les sujets (danse contemporaine, visuel de sites internet, sujets sociaux, mariages, …).

SRN : l’hiver dernier, tu t’es immergé pendant quatre semaines dans le parc du Sarek (Suède). Quel était l’objectif ? Y a-t-il un rapport avec tes sujets d’études universitaires ?

Régis D. : l'objectif de ce voyage au Sarek était triple :
- réaliser une immersion en solitaire dans ce milieu vaste et désertique en son centre,
- concrétiser une série de réflexions sur la Nature et les Hommes en prenant le pari de rendre "réels" certains concepts et de rencontrer les populations locales,
- débuter un travail photographique sur cette partie de la Laponie.

Cette expédition a aussi été un moment attendu de solitude. J'aime être présent avec d'autres hommes, mais une plongée en solitaire, dans ces régions, est une expérience qui renforce toutes les dimensions de l'existence :
- la liaison vitale à l'identité humaine,
- les capacités mentales nécessaires pour gérer seul un milieu exigeant et très brute,
- la dissolution partielle de nombreux éléments culturels comme le langage, les petites habitudes du quotidien, l'abandon temporel des systèmes de valeurs humaines qui obligent à rencontrer d'autres vivants, d'autres valeurs,
- un rapport au temps démesuré,
- un rapport à l'espace,
- aussi et sans doute, l'ouverture, la plus simple mais la plus évidente, sur notre profonde appartenance à la Nature et sur l'animal occidental que nous sommes devenus : un animal qui, finalement, a perdu beaucoup de l'intelligence quotidienne des milieux dans lesquels il vit.
Car si nous connaissons et comprenons plus ou moins la plupart des écosystèmes, nous avons perdu la connaissance intuitive, instinctive, "naturelle", de nos lieux de vie.

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SRN : pourquoi le Sarek ?

Régis D. : j'avais entendu parlé du Sarek via les Lapons/samis, un peuple qui m'avait alors intéressé. Je voulais aller voir sur place…

SRN : tu as passé 4 semaines en bordure du parc, peux-tu donner des noms de lieux pour situer ?

Régis D. : Suorva a été la porte d'entrée de mon périple, après il y les noms sur les cartes mais surtout de l'espace blanc, partout…

SRN : est-ce ta première aventure hivernale ? As-tu de futurs projets ?

Régis D. : c'est mon second voyage dans cet endroit, le premier avait été réalisé avec un ami, pendant trois semaines, dans le Sarek aussi.
Le projet futur est un troisième voyage de 4 semaines, toujours dans la même zone avec un but de progression, et un but photographique plus resserré. Il est prévu pour 2010.

SRN : tu évoques des concepts "réels". Quels sont-ils ?

Régis D. : il y a d'abord la question anthropologique du statut de l'homme : que sommes-nous ?
Le statut de la Nature : qu'est-elle réellement?
Enfin le statut de ce rapport entre la nature et nous : qu'en faire?
Aussi la réalité de notre rapport au monde : quel lien existe-t-il entre nous et ces paysages ?
Est-ce uniquement esthétique, de l'ordre d'un décor, ou devons-nous y puiser autre chose ?

Régis Defurnaux - Sarek - Suède

SRN : quel est l'objet du travail photographique ? En imaginant le Sarek, on imagine de vastes immensités blanches …

Régis D. : il y a effectivement un gros travail sur les paysages et la valorisation de l'espace. Un autre travail sur l'expédition en elle-même et, enfin, un travail sur les traces humaines et animales laissées dans ces lieux. Je devrais y retourner pour me concentrer sur cette partie du travail: les traces humaines et animales qui sont souvent les mêmes.

SRN : tu évoques deux notions importantes : « un moment attendu de solitude » et des « capacités mentales nécessaires à gérer seul » (le milieu et soi-même). Peux-tu nous en dire un peu plus ? Ces capacités mentales ne sont pas innées ?

Régis D. : non, une capacité qui, de par mes origines culturelles, n'est pas du tout innée. Sous ces latitudes, tout, ou presque, est à apprendre et à découvrir car il ne s’agit ni de notre milieu ni de notre mode de vie.

SRN : revenons sur le concept du rapport à la nature : on a l'impression que l'homme et la nature ne doivent être qu'une entité… mais on a perdu l'habitude d'habiter notre NATURE. Te sens-tu étranger, ou es-tu en osmose avec les lieux parcourus ?

Régis D. : j'y suis étranger car ce sont des lieux que je ne fréquente pas au quotidien et il faut toujours une période de mise à température. Mais je m'y sens aussi très bien dans la mesure où ces paysages font partie de mon monde symbolique et des représentations que je chéris le plus. Certains aiment les campagnes du Kent, d'autres les savanes d'Afrique, moi ce sont les grandes forêts boréales et les espaces semi-désertiques du Grand Nord qui remplissent mon idée de nature.

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SRN : peux tu en dire plus concernant tes rencontres avec les Samis ?

Régis D. : elles ont été laissées au hasard du tracé. J'ai rencontré plusieurs personnes qui vivent ou travaillent à l'entrée du parc et qui perpétuent une occupation très ancienne du lieu au travers de leur culture. Certains m'ont appris à trouver de l'eau libre, à choisir la bonne neige portante, à me méfier des glaces selon les couleurs, à démarrer un feu avec des mousses ou des écorces de bouleau… Ce furent des rencontres brèves mais très intenses comme si ces milieux difficiles appelaient, tout de suite, à aller à l'essentiel: comment vivre. Au retour, j'ai rencontré des éleveurs de rennes dont la vie quotidienne ne correspond pas à la présentation poétique qui en est faite: c'est une vie difficile, économiquement pauvre et dont le débouché naturel (la viande) se réduit d'une part. L'activité touristique, un nouveau débouché, n'est pas sans risque pour leur identité culturelle, la modification d'un certain rapport à la nature et les conséquences sur les milieux.

SRN : concernant ton retour : peux-tu nous en dire plus sur le parcours que tu as suivi ? S’agissait-il d'une itinérance au gré des envies, ou un itinéraire largement étudié à l'avance ?

Régis Defurnaux - Sarek - Suède

Régis D. : le parcours est toujours une approximation. Je connais les vallées que je souhaite aborder et les plateaux que je souhaite découvrir. Quant au reste, tout est fonction du terrain, des rencontres, des lieux et surtout de la météo. J'ai été pris dans une violente tempête de quelques jours qui a dicté mon emploi du temps et la suite de ma progression. C'est une manière de ne pas imposer un programme, une démarche très modeste qui laisse chaque chose à sa place: l'homme dans sa tente, la tempête rugissant partout. Partir avec un programme minuté et ordonné est une prise de risque car on est tenté de tenir des horaires, un tracé et cela devient une course. On perd, alors, l'idée d'immersion et de disponibilité: une disponibilité au temps (chronos), au temps (météo) et aux rencontres. Je trouve cela assez triste d'avoir un programme car, finalement, cela ne permet pas de se perdre, dans les deux sens du terme: découvrir et se diluer.

SRN : existe-t-il une activité touristique au cœur du massif du Sarek ?

Régis D. : quasiment pas, sauf les quelques marcheurs qui arrivent au printemps pour randonner en pulka dans le parc. Le parc est aussi fréquenté en été mais assez peu, car il exige une autonomie complète et peu de personnes ne sont capables de le faire.

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SRN : lors de tes voyages, quel est ton rapport avec la nature ?

Régis D. : j'essaye de penser un rapport continu à la nature, un rapport englobant. Il n'y a pas la Nature d'un côté, nous de l'autre. "Nous sommes de la nature, regardant la nature". C'est cette optique de continuité qui anime ma démarche de voyage nordique. J'essaye en tant que philosophe de comprendre comment nous nous sommes à ce point coupé du naturel; et surtout comment nous nous sommes à ce point pensé artificiel ou culturel. C'est un rapport a priori très intellectuel et j'essaye toujours de "faire descendre" ces idées dans les jambes, dans les muscles, dans les peurs, les froids du Grand Nord, la fatigue d'une journée de progression. J'essaye, là aussi, de restituer une continuité entre la pensée et le monde qui la nourrit. Disons qu'en ville, nous sommes dans une forme de nature très humanisée, et que dans ces contrées, moins humanisées, nous sommes dans une autre forme; mais nous sommes toujours DANS la nature, à tout moment.

SRN : comment fais-tu pour « faire descendre » un concept intellectuel dans les jambes ?

Régis D. : je ne sais pas, j'avance, je marche fort et longtemps pour que la pensée, peu à peu, se dilue dans l'effort et que l'effort s'imprègne d’une pensée… ???

SRN : de retour en Belgique, « ton aventure » alimente-t-elle un projet de recherche ?

Régis D. : pour l'instant, ces voyages alimentent ma thèse de doctorat qui porte sur la philosophie de la Nature et dont le titre provisoire est " De la Nature de nos confins". Thèse dans laquelle j'essaye d'explorer et de comprendre la spécificité de notre rapport occidental à la Nature, de le mettre en question et de proposer une piste nouvelle en matière d'éthiques environnementales. Une piste qui intègre toutes les dimensions historique, anthropologique et philosophique de notre relation à l'environnement.

Régis Defurnaux - Sarek - Suède

SRN : de quelle manière partages-tu, sachant que tu pars seul ?

Régis D. : par la photos, par l'image qui est censée documenter, susciter et questionner la réalité rencontrée. Par l'écriture aussi, soit d'articles scientifiques, soit d'entretiens comme celui-ci. Par la parole, enfin, lors de séminaires ou de conférence au cours desquelles j'évoque systématiquement ce genre d'expérience de voyage solitaire dans des régions sub-arctiques ou arctiques.

SRN : pourquoi pars-tu à la rencontre de ces territoires et des gens qui y vivent, en hiver ? Le choix de cette période n’est pas le plus aisé pour ce travail ?

Régis D. : l'hiver pour le blanc, le froid, et pour le fait que le parc est laissé à lui-même. C'est effectivement une période potentiellement solitaire, plus recluse.
Par contre, les autres saisons sont celles des grands travaux liés aux rennes ; l'automne est une période que je vais investiguer par la suite. Mais, je crois que dans ces régions, il faut d'abord comprendre l'hiver et les cultures qui y sont liées. Le nœud de la vie s'y trouve et les fêtes culturelles des peuples des régions polaires s'y construisent. Il faut d'abord comprendre cet hiver très sauvage pour mieux comprendre les animaux et les hommes qui vivent ensemble dans ces lieux. Je crois que c'est la première étape nécessaire pour une bonne compréhension.


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Les cathédrales sauvages de la philosophie de la nature et des espaces protégés
Auteur : Régis Defurnaux
Ouverture Philosophique

"Le présent ouvrage investit modestement l'histoire, la philosophie et la sociologie au regard des "espaces protégés" des Alpes, sorte de prismes de nos modalités environnementales. Il esquisse d'abord une histoire de nos sensibilités envers l'environnement ; il parcourt ensuite les philosophies de la nature et leurs grands concepts; enfin, il analyse les Alpes, ces "cathédrales sauvages", dont l'usage atteste toute la complexité et la nécessité de nouvelles politiques environnementales."

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Crédits photos : Copyright - Régis Defurnaux

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