Ski en itinérance dans le Vercors France > Vercors

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  • author: sagger

Durée : 2 à 4 jours

Difficulté : Moyenne

Pulka : non accessible

Je ne dirai jamais assez à quel point, pour le citadin qui souhaite s'immerger pendant quelques jours dans une nature sauvage, le voyage peut représenter un obstacle long et pénible.

Préparatif :
Depuis paris, il m'a été impossible de rejoindre les Hauts-Plateaux du Vercors en une journée. Descente en TGV vers Lyon, où je resterai dormir chez un ami. Le lendemain, train vers Grenoble, puis bus vers les Hauts-Plateaux, où je me ferai exceptionnellement déposer par un chauffeur amical sur le bord d'un rond-point en pleine zone industrielle. Les quelques centaines de mètres qui me séparent du magasin où j'ai loué mon matériel seront à parcourir en basket dans la neige avec 25 kg sur le dos. Avouez, c'est plus simple de louer une voiture en descendant de l'avion…

Je prépare ce trek depuis le début de la saison, et mes week-ends d'entraînement m'ont appris certaines choses sur la randonnée hivernale: le ski de randonnée nordique est efficace et rapide, mais j'ai des problèmes dès que le terrain est un peu vallonné. J'ai du mal à monter et à descendre… De plus, mon sac à dos me déséquilibre complètement et je me demande si les raquettes ne seraient pas une meilleure solution.

Aussi lorsqu'au magasin Altiplano de Villard-de-Lans, le vendeur me propose de me louer une pulka en plus de ma paire de skis, j'accepte avec plaisir. La pulka est une sorte de traîneau constitué d'une coque rigide et effilée recouverte d'une bâche qui permet de sangler et de protéger le matériel. Elle s'accroche, par l'intermédiaire d'un long brancard métallique, à un harnais qui se porte autour du torse. L'effort est donc complètement transformé. Au lieu de porter la charge verticalement sur les épaules et la taille, on tracte avec les hanches quasiment horizontalement.
Pour assurer une accroche suffisante sur la neige, les skis me sont fournis avec des peaux en mohair, qui sont censées glisser vers l'avant mais empêcher le ski de repartir en arrière. Ce sera la première fois que j'essaye ces peaux, alors on verra bien!
Les skis de randonnée nordique que je loue, quand à eux, sont des modèles un peu hybrides; très légers, mais paraboliques et nettement plus large que des skis de fond, ils assurent une bonne portance sur une neige non damée, et un meilleur contrôle en descente. La fixation cependant est identique au ski de fond, avec seulement l'avant du pied relié au ski, et le talon complètement libre. Cela facilite la marche, mais le contrôle du ski est nettement moins bon que sur des skis alpins par exemple.

Le vendeur me dépose gentiment avec le matériel à la gare routière du village, d'où je pourrai finir, enfin, mon voyage avec un dernier bus vers Corrençon-en-Vercors.

Premier jour, Vendredi 6 mars 2009
C'est donc en fin d'après-midi que je m'engage sur les pistes de fond qui partent à côté du terrain de golf en direction des belles forêts de sapins qui couvrent le paysage en face de moi.
La piste est bien tracée et balisée, et je croise de nombreuses personnes qui s'arrêtent pour discuter, surprises de voir passer un type avec un tel équipement… Les gens sont impressionnés et souvent tentés par l'idée de partir plusieurs jours de suite dans la nature.

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La neige est tombée abondamment ces derniers jours, et après quelques kilomètres mon chemin s'éloigne des pistes damées pour serpenter dans la forêt. Heureusement, il y a eu du passage depuis la veille, et le tracé est facile à suivre. Après la cabane de Carette où je compte m'arrêter ce soir, cependant, personne ne serait passé depuis plusieurs jours, et la neige fraîche a dû s'accumuler en congères… ça pourrait s'annoncer plus difficile demain. On verra !
Quelques flocons m'accompagnent à la fin de l'après-midi, mais le trajet est vite couvert, et en une petite heure et demie je me retrouve devant la cabane. Sur les Hauts-Plateaux, les refuges méritent vraiment leur nom !

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Je passerai la soirée à faire fondre de la neige sur mon réchaud, seul, et étudier la carte pour la suite du voyage. Je n'ai pas encore d'itinéraire bien défini, je ne connais pas la région, ni les conditions… ni même mon matériel d'ailleurs. Ça promet de belles découvertes!

Deuxième jour, samedi 7 Mars 2009
Je suis vaguement dérangé dans la nuit par l'arrivée tardive de deux randonneurs, débarqués vers minuit: ils ont dû faire tout le trajet dans l'obscurité et le froid nocturne pour venir s'offrir une petite nuitée dans ce coin un peu sauvage. Courageux, me dis-je, blotti dans mon duvet, avant de me rendormir dans un battement de cils.
On peut le deviner sur les photos du refuge; le rez-de-chaussée abrite un poêle et une table, un escalier très raide menant à l'étage où on dort à même le sol. Mon matelas et surtout mon duvet sont de très bonne qualité, et malgré une température de 0°C à l'intérieur de la cabane, je suis bien au chaud et passe une très bonne nuit.
Le lendemain matin, je discute longuement avec mes voisins de chambrée qui m'offrent une délicieuse crêpe bretonne, beurrée, chaude et chargée de garnitures diverses; le meilleur petit déjeuner qui soit dans la montagne !

La piste que je pensais emprunter suit le parcours du GR 91, mais les balisages sont camouflés par la neige, et il n'y a pas encore eu de passage depuis les dernières chutes. Par chance, au moment où je mets le nez dehors, plusieurs raquettistes sont justement en train d'ouvrir la voie et je n'ai qu'à m'engouffrer dans le large sillon creusé dans la neige par ces hommes aux larges pieds. Je discute avec Gérard, un amoureux de la montagne qui s'est installé dans la région pour mieux pouvoir en profiter.
Le chemin débouche, après une succession de petits vallons boisés, sur la large perspective de la prairie de Darbounouse, où nous nous arrêtons un instant pour déjeuner. Le ciel est dégagé et la vue magnifique, le regard embrasse cette vaste cuvette et la bergerie solitaire qui en indique le centre, à quelques 200m de notre point de vue.
Je repars seul vers le sud, et me retourne une dernière fois pour saisir ce vallon de pureté au milieu de la montagne.

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Deux jeunes gars en raquettes me dépassent bientôt; ils vont bon train, et ils creusent la trace devant moi, ce qui n'est pas pour me déplaire. En effet depuis le début de l'après-midi, la pulka "botte" terriblement, et semble s'alourdir à chaque pas; la neige, lourde et collante, se fixe par blocs sous le traîneau et complique tellement la traction que je ne peux bientôt presque plus avancer. Je suis contraint à un arrêt de « déneigeage » tous les 500m, ce qui ne peut pas durer longtemps. Je trouve finalement une solution à ce problème: en rééquilibrant la charge de ma pulka vers l'avant, elle a beaucoup moins tendance à lever le nez, et elle cesse ainsi d'accumuler la neige. Je peux donc poursuivre ma route beaucoup plus légèrement!
Le chemin ne tarde pas à pénétrer de nouveau entre les sapins, et les méandres tracés par la piste emmènent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre; les arbres clairsemés ne donnent jamais vraiment l'impression d'être en forêt, mais jamais non plus ne dévoilent suffisamment la vue pour s'en croire sorti. Au bout de quelques heures, je me retrouve enfin à l'entrée du canyon des Erges.
La trace grimpe le long de cette longue ravine; le chemin est droit, encaissé entre de petites falaises, parsemé de quelques sapins: il donne l'impression étrange, avec le soir qui tombe doucement sous ce ciel de coton, d'un long tunnel de neige grimpant vers un autre univers, qui referme doucement ses bras de roche sur l'aventurier de passage, ne lui laissant d'autre choix que d'avancer ou de rebrousser chemin.

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Le ravin débouche, une centaine de mètres plus haut, sur un pays de larges cuvettes et de trace à flanc de colline; j'avance maintenant plein sud, pleine nuit, sous une belle lune qui fait briller la neige. J'aime ces ambiances solitaires et glacées, où la croûte de neige refroidie glisse et se fend sous les skis, et où l'on se sent vraiment seul au monde. Seule la trace que je suis me rappelle la présence d'autres humains. Des nuages courent et s'effilochent dans le ciel, faisant clignoter les étoiles dans la neige…
J'arrive finalement à la petite cabane de Tiolache du Milieu, où les deux raquettistes m'ont précédé; ils sont littéralement tombés dessus, si j'en crois leur trace, car de la cabane on ne devine plus guère que le sommet de la cheminée et la forme de la toiture soulevant le manteau neigeux! Je me déarnache et descend les marches taillées dans le mur de neige qui fait face à la porte; je retrouve à l'intérieur les deux gaillards, fatigués et repus, avec qui le reste de la soirée sera très agréable, passé à partager des cacahuètes en parlant de la montagne qui nous entoure et ne peut guère se faire oublier, isolés que nous sommes entre nos murs de pierre.
Nous finissons par nous endormir, entassés sur les deux bas-flancs de bois, dans cette minuscule cabane de bout du monde; un vrai quatre étoiles pour aventuriers!

Troisième jour, dimanche 8 Mars 2009
Le jour nouveau apporte le soleil, et c'est sous un ciel clair que nous sortons de ce qui ressemble plus à un terrier qu'à une maison !

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La chance, décidément, me poursuit. Alors que la trace,hier, s'arrêtait avec mes compagnons de chambrée qui l'ouvraient devant moi, ce matin nous apercevons, au moment où nous quittons la cabane pour retourner vers le tracé du GR, une troupe de fondeurs qui suit le chemin en sens inverse ! Nous crions hourra, car ils nous laissent un vrai boulevard à emprunter.
Il faut bien comprendre ce que signifie skier en hors piste, sur une neige fraîchement tombée, en tractant une luge d'une trentaine de kilos. On n'est pas ici sur une belle piste matinale de ski alpin, dure et élastique, à peine recouverte d'un saupoudrage de neige fraîche, et damée pendant la nuit; on avance sur un matériau vivant, poudreux, où le ski s'enfonce parfois jusqu'à la cheville, et où la pulka creuse une large ornière à la force des jambes… Faire la trace, c'est faire le boulot d'un brise-glace dans l'arctique : ouvrir temporairement une route un peu plus stable, un peu plus solide, qui demande un peu moins d'effort au prochain qui l'emprunte. Aussi, si la trace est déjà faite, c'est un plaisir que de pouvoir la suivre, s'en remettant au flair de celui qui l'a ouverte pour la qualité de son itinéraire !

Partis pour l'ascension du Grand Veymont, sommet de la longue chaîne de crête orientale du Vercors, qui borde les Hauts-Plateaux à main gauche depuis la veille, mes deux compagnons me quittent bientôt pour filer vers la montagne. Mon chemin à moi file plein sud; je passerai une partie de la matinée, le nez en l'air, cherchant en vain à deviner deux silhouettes en mouvement sur les pentes de cette belle montagne. Si vous les apercevez sur la photo, faites moi signe !

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La trace, depuis la cabane de Tiolache du Milieu, traverse bientôt une vaste forêt de sapins, où les combes se succèdent. Je suis à plusieurs reprises à la peine pour franchir des ressauts de terrain assez abrupts, et le tractage de la pulka est alors un exercice très physique. Les peaux de phoque sous mes skis, que j'ai trouvées très performantes jusqu'alors, atteignent leurs limites dans ces pentes à trente ou quarante degrés et je me retrouve souvent sur un genou parce que le ski s'est dérobé sous moi… l'exercice est usant quand il se répète ainsi. Je passe parfois un quart d'heure pour franchir cinq mètres, avant de repartir… jusqu'au prochain ressaut du terrain. C'est à la fois très frustrant et très motivant de se retrouver régulièrement confronté à un obstacle, une barrière, qui nécessite un effort massif pour la franchir mais qui ouvre alors la route sur un nouveau plateau. J'aime de plus en plus la randonnée hivernale…
Une petite halte à la cabane de Jasse du Play, en début d'après-midi, me permettra de me remettre de ces efforts soutenus.

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Il fait chaud aujourd'hui, trop chaud pour la neige qui s'alourdit vite lorsque les arbres ne sont pas là pour la protéger un peu des rayons du soleil; elle colle sous les skis, et il devient nécessaire de s'arrêter régulièrement pour en débotter les semelles.

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La forêt vallonnée laisse finalement la place, avec l'après-midi qui s'avance, à des étendues plus larges et plus douces, parsemées d'arbres épars, où la progression est plus facile et plus régulière, mais le soleil et la chaleur deviennent pénibles: un comble, non?
Je continue de suivre la trace, ouverte sans doute par les skieurs croisés le matin même, mais j'ai le sentiment de dévier un peu; elle me semble aller trop vers l'est, vers le flanc de montagne, alors que je souhaite me diriger plein sud. Je m'élève doucement, et la vue se dégage peu à peu; bientôt, j'embrasse du regard une vaste étendue, vers l'Ouest et le Nord, mon regard dominant enfin les sapins et les replis du terrain qui me fermaient un peu la perspective depuis la veille.

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Mon sentiment sur la trace se confirme bientôt. Au détour d'un virage, j'aperçois, franchement sur ma droite et bien plus bas, une large clairière au milieu de laquelle se dresse une bergerie; ma route était censée passer juste à côté ! Examinant la carte, j'estime que la trace que je suis, doit se diriger vers le pas des Chattons, au pied de Grand Veymont, et basculer dans la vallée au delà. Pas du tout ma route; aussi, je calcule mon cap vers les bergeries, et quitte la piste pour construire mon propre itinéraire. Sans Gps, dans ce paysage où chaque vallon arboré se ressemble, pas évident de savoir où on en est; mais je parviens, au terme d'une longue descente, à rejoindre les bergeries.
La journée tire à sa fin, et c'est sous un ciel qui se couvre lentement que je poursuis ma route en direction du Sud, profitant encore d'une vue magnifique sur la région à l'ouest des Hauts-Plateaux.

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Je me retrouve de nouveau à cheminer de nuit, à la frontale, entre les sapins et les étoiles. Je traverse un petit bois avant de déboucher sur une grande étendue dégagée, et reconnais la colline au pied de laquelle est sensée se blottir la cabane de Pré Peyret, mon refuge de ce soir.
Mais la route pour la rejoindre sera sinueuse, car le terrain est très vallonné, et je trace de larges méandres afin d'éviter d'avoir à monter et descendre ces pentes courtes mais abruptes.
La lune permet de me repérer en éclairant tout le paysage d'une lumière diffuse et bleutée qui permet à la vue de porter loin dans cet air froid. J'arrive enfin à la cabane, enterrée comme les précédentes sous une belle épaisseur de neige. J'y rejoins Didier, un fondeur solitaire, qui ne s'attendait plus à avoir de la visite à cette heure tardive; nous passerons le reste de la soirée à échanger des impressions sur le Vercors enneigé, et à parler de son autre passion, la Voile, avant de nous glisser dans nos duvets sur les bas-flancs et de nous endormir comme des marmottes.

Quatrième jour, Lundi 9 Mars 2009
J'ai du mal à émerger ce matin. Ce n'est pas vraiment la fatigue, mais plutôt l'incertitude sur la route à suivre désormais. Depuis Corrençon, descendre plein sud, 25 km à vol d'oiseau, donnait un objectif clair; mais je ne sais pas trop où aller maintenant. J'ai horreur de revenir sur mes pas, mais le sud semble m'être barré; si je continue dans cette direction, j'arriverai au bord du plateau et à une descente longue et raide vers les basses terres autour de Die.
Alors que je traîne autour de mon petit déjeuner, absorbé par ma carte, un homme arrive en raquettes et entre dans la cabane. C'est un Ancien, un fils du pays, qui grimpe sur les plateaux de temps en temps, été comme hiver, parcourir et redécouvrir sans cesse la nature de son Vercors natal. Je suis toujours impressionné par celles et ceux qui, malgré l'âge qui s'avance, restent capables d'efforts physiques comme celui là. Bien des hommes plus jeunes, habitués au confort des villes, auraient fait demi-tour ce matin, dégoutés et transis, car il a fait froid et la neige est tombée. Mais Grand-Père est venu jusqu'içi.
Il me raconte des histoires du pays, en arrosant son saucisson d'une bonne tasse de café chaud.
Il m'apprend que le Loup est dans le Vercors, depuis des années déjà; les gardes voient leurs traces dans la neige, l'hiver, mais l'animal ne se laisse pas approcher. Bien sûr, les bergers des plateaux pestent, mais il devrait y avoir assez de place pour tous dans ces vastes hauteurs sauvages.

Je choisis enfin ma route: direction l'ouest, vers le col du Rousset, avant de remonter vers le nord en contournant ainsi la vallée qui borde l'Ouest des hauts-plateaux. Nous partons ensemble, avec l'Ancien qui retourne au Rousset où il a laissé sa voiture; la patronne l'attend pour le déjeuner. Le temps est couvert, le ciel plombé et bas, le vent souffle, de petits grains de neige volettent ça et là; ça ressemble à l'hiver. Je me retourne vers la cabane, au fond de son vallon, bien isolée dans ce désert blanc.

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Nous cheminons de concert depuis une bonne heure, lorsque le temps se lève un peu, au moment où nous passons devant le pas des Econdus, une trouée dans la barrière rocheuse qui ferme le Vercors au sud, et qui nous bouche la vue vers le sud depuis ce matin. On peut alors apercevoir au creux de la passe une perspective majestueuse, de sommets enneigés sous un lourd ciel d'hiver.

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Mon compagnon me montre les sommets, comme il me montrerait de vieux amis un soir à la veillée. En montagne plus qu'ailleurs, cette faculté des hommes à nommer, à singulariser le monde, m'émerveille, comme si ces montagnes avaient attendu patiemment, depuis l'aube du monde, que nous venions marcher parmi elles et les baptiser, complétant enfin par le pouvoir de notre langage l'œuvre du Créateur.

Nous continuons maintenant notre route en suivant le tracé, large et bien damé, d'une course à ski qui est passée içi même il y a quelques jours. Ce boulevard lisse et solide est très agréable et change de la poudreuse; je me règle ma vitesse au pas de mon compagnon en raquettes, et nous continuons notre route jusqu'à approcher les pistes de ski alpin et les remontées mécaniques de la station du Rousset. Il me propose alors de me faire un bout de route en voiture, qui me permettra d'éviter un passage vraiment galère, à devoir choisir entre dévaler des pistes de ski alpin avec trente kilos dans le dos sur des skis à peine fixés, ou tâtonner dans une forêt en dévers pendant des kilomètres. J'accepte volontiers, et nous chargeons la pulka et les skis dans sa voiture; il me dépose à l'entrée de la station, nous nous serrons la main et il part rejoindre sa dame. Au revoir l'ami, et puissent les dieux m'accorder de vieillir comme toi !

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Je m'arrête un instant dans ce petit îlot de civilisation, où j'engloutis une bonne crêpe bretonne dans une échoppe et passe quelques coups de téléphone pour dire au monde que je suis vivant et que je vais bien, et je reprends la route en milieu d'après-midi.
Mon chemin remonte maintenant plein nord, et suit pour l'instant une route forestière enneigée à flanc de montagne, à peu près droite et presque plate. La distance s'avale facilement, entre les faux plats qui me ralentissent à peine et les longues descentes qui les suivent, où il suffit de contrôler sa vitesse.

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J'arrive ainsi au col de Saint-Alexis, et au stade de biathlon de Saint-Agnan à la tombée de la nuit. Baptisé du nom de l'immense champion de biathlon français Raphaël Poirée, le stade compte quarante kilomètres de pistes damées à travers la forêt, que j'emprunte dans le noir, la seule lueur de ma frontale repoussant les ombres entre les arbres. Il est bien sûr formellement interdit, pour des raisons de sécurité, de se balader la nuit sur des pistes de ski de fond, mais cette solitude nocturne est pour moi préférable de très loin à la foule qui parcourt ces pistes dans la journée !
Je les quitte cependant en m'approchant d'un petit pas que je dois franchir et qui me sépare de ma halte de ce soir, la ferme du Pré. En m'écartant vers l'ouest et en grimpant un peu, je peux distinguer les hauts plateaux et la crête est qui les borde, dominée par la silhouette de grand Veymont dans le lointain. Je franchis le pas, et redescends le long d'un chemin abrupt et encaissé où je dois déchausser sur plusieurs centaines de mètres.
Enfin, j'approche de la ferme, un gîte d'étape isolé au bout de sa route; je surprends la propriétaire, peu habituée sans doute à voir une silhouette sombre, lampe torche au front, au milieu de son jardin à la nuit tombée. Puisse t-elle me pardonner cette frayeur passagère ! Je pensais trouver une cabane, mais il s'agit içi d'un vrai gîte, avec chambres chauffées; je m'installe plutôt sous la tente dans le vaste jardin, et passe une excellente nuit à dormir dans la neige sous les étoiles.

Cinquième jour, Mardi 10 Mars 2009
Je suis tiré de mon demi-sommeil par les cris enthousiastes des enfants de mes hôtes, sur le chemin de l'école, qui observent de loin la tente plantée dans la neige au milieu du pré derrière leur maison. Ils semblent adorer la couleur orange, si visible sur le manteau de neige !

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Je dois brosser soigneusement l'intérieur de la double tente, où le froid de la nuit a fait geler la condensation; la toile perle de petites gouttes de glace que j'ôte avec un petit balai dédié à cet usage.

Mes hôtes m'offrent un café chaud et je discute longuement avec eux avant de reprendre ma route. Jeunes trentenaires, ils ont plaqué leurs jobs bien payés dans des grosses boîtes pour se lancer dans l'aventure du gîte d'étape dans cette région perdue, en quête d'un peu plus de sens dans leur travail quotidien. Ils ne regrettent aucunement leur choix malgré les petites difficultés, et je les quitte alors que le soleil est déjà haut dans le ciel… si encore je le voyais! Je suis obligé de suivre la route un moment, avant de descendre à travers bois vers un itinéraire signalé en contrebas par ma carte, la "Grande Traversée du Vercors". L'été, c'est sans doute un chemin agricole serpentant entre les prés clôturés qui le bordent; l'hiver, la couche de neige supporte mes skis et mon traineau, et j'avance gaiement en suivant les traces de pattes griffues et de patins étroits omniprésentes sur ce chemin; il n'y a pas longtemps, une course de chien de traineaux s'est déroulée içi même, et les mushers proposent aussi aux touristes de belles balades derrière leurs attelages poilus.

Je m'engage dans la Combe Libouse, un vallon encaissé entre deux collines boisées, et le manque de neige lié à l'altitude commence à se faire pénible. Depuis le matin, j'ai pu ruser et contourner de vastes zones herbues et caillouteuses pour ne pas endommager mes skis ou ma pulka, mais la neige disparaît de plus en plus. Je dois parfois me déharnacher et partir à pied, loin en avant, reconnaître la piste. Plus aucun traineau ne pourrait passer maintenant, car les zones de sol affleurant sont trop nombreuses.

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Enfin, en m'enfonçant dans la combe, la neige revient un peu; à tel point qu'alors que je m'engage dans une large cuvette entre les collines, ma route se trouve barrée par une haute combe neigeuse, appuyée au flanc des collines à droite et à gauche, coupant toute possibilité de contourner, surtout avec ma charge et mon traineau.

Il va falloir passer par-dessus; imaginez un mur vertical lisse et froid, haut de trois mètres, derrière lequel attend l'inconnu. Est ce aussi vertical de l'autre côté ? Est ce que la congère est solide, épaisse, friable ?
Avec ma pelle à neige, j'entreprends de me tailler des marches dans la muraille. Une fois la première creusée, j'y grimpe et tasse le sol de cette petite caverne avec les pieds, tandis que je me taille une autre marche un peu plus haut, et ainsi de suite… jusqu'à ce que je parvienne au sommet. De l'autre côté, une large surface de neige, mais il me semble que je me trouve sur une couche épaisse… posée sur des buissons et des arbustes ! Je hisse la pulka et le reste de mon matériel à la force des bras, et poursuis ma route en rampant, de peur de faire céder sous mon poids la croûte épaisse qui me sépare de la végétation… quand enfin le sol semble s'être raffermi sous le manteau neigeux, je me relève et peux repartir à ski.

Je suis toujours sur les traces des traineaux, lorsqu'au détour d'un virage au milieu des bois, j'entends hurler une meute dans le lointain. Est ce une des attelages de chiens de traineaux dont je suis la trace depuis ce matin, assis sagement dans le petit enclos jouxtant la maison de leur maître ? Ou bien des animaux plus libres, et… un peu plus sauvages ?
Je crois que je comprends un peu mieux maintenant ce que pouvaient ressentir les hommes du moyen-âge, pour qui le doute n'était pas permis, lorsqu'ils s'étaient attardés ou perdus au fond des forêts et qu'ils entendaient hurler dans la nuit noire. La neige s'est remise à tomber, et elle étouffe bientôt les cris dans la douceur molletonnée de ses flocons.

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Il fait de plus en plus "chaud", à peine zéro, et la neige qui tombe fond sur mes vêtements et mes cheveux. Je débouche enfin, à la sortie de la combe, sur une route goudronnée; comprenant que je ne pourrai pas continuer à ski, comme j'en avais l'intention, à cause du manque de neige, je me résous à appeler un taxi pour traverser la vallée de La-Chapelle-en-Vercors et remonter de l'autre côté. Je patiente au bord de la route, dans le froid et la neige, pendant une bonne heure, et remercie une femme qui s'arrête spontanément pour me proposer de me prendre en stop. Mon chauffeur est déjà en route !

Le taxi arrive finalement et me dépose à la nuit tombée, avec mon matériel, sur le parking à l'entrée des pistes de ski de fond du domaine du Haut-Vercors. Transi par la neige mouillée qui m'est tombée dessus pendant des heures cet après-midi, détrempant tout mon équipement, je me dirige vers l'auberge du Roybon, un refuge installé quelques centaines de mètres après le début des pistes. J'y trouverai des aubergistes généreux et accueillants, un bon repas chaud, un lit, et surtout une douche, la première depuis cinq jours !

Sixième jour, Mercredi 11 Mars 2009
C'est dans des vêtements secs et après un bon petit déjeuner que je prends la piste pour mes dernières heures de ski. Les pistes de fond sont bien entretenues, et j'y croise de nombreux skieurs, auprès de qui je fais souvent sensation avec ma pulka; on me confond même parfois avec les pisteurs ! Cependant, la plupart ne s'aventurent pas bien loin, et lorsque j'atteins la plaine d'Herbouilly, j'y suis pratiquement seul.
J'avale les dix kilomètres de piste en un rien de temps, m'arrêtant simplement pour déjeuner en cours de route et saisir une dernière fois la majesté des paysages avant de terminer mon voyage et de reprendre la longue route de la maison, un peu nostalgique et impatient de retrouver l'hiver à la prochaine saison.

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Textes & Photos : Alexis Dejoux Textes & Photos : www.mondesauvage.blogspot.com

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