Epopée au fond d'un congélateur... Svalbard > Spitzberg

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Durée : Plus de 4 jours

Difficulté : Moyenne

Pulka : accessible

Raid polaire au Spitzberg

« Je me suis souvent amusé à concevoir notre Terre comme une immense marmite que l’on coiffe dès le matin levant d’un couvercle de ciel bleu. Dès que le soleil apparaît, elle se met alors à chauffer, à bouillir, vapeur d’eau en effervescence. Le crépuscule arrivant, l’ébullition retombe, le soleil se couche, on enlève alors le couvercle pour laisser place à la nuit, au rayonnement, à l’apaisement, à l’élévation ».

Entre mer et montagne Luc a plusieurs passions : la rêverie et la philosophie contemplative…
Il est fortement inspiré par ses voyages à l’autre bout de chez lui… Il évoque ici son dernier sujet de méditation : un raid polaire réalisé la dernière quinzaine du mois d’avril 2009 ! Découvrez sa relation de voyage dans l’archipel du Svalbard…

Spitzberg 2009 ou l’épopée au fond d’un congélateur.

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Le parcours
Après 60 km parcouru en chenillette à travers l’Adventalen et le Sassendalen, nous voilà déposé aux portes du Sabineland (Sir Edward Sabine 1788-1883) très exactement au pied du glacier du Rabotbreen. La remontée de ce glacier va nous conduire sur le Nordmannsfonna, vaste calotte glaciaire culminant à 600 m d’altitude. Après sa traversée vers le sud nous franchissons un petit col et plongeons sur Isrosa puis, par le Vaeringsdalen nous rejoignons le fond de la baie d’Agardhbukta. Parcours sur la banquise jusqu’au cap de Revnosa avant un retour par l’Agardhdalen. Nous franchissons le col et le front glaciaire de l’Elfenbeinbreen puis par le lac du Jokulvatnet et le val du Fulmardalen nous retrouvons notre point de dépose.

Bilan : 11 jours sur zone, 10 jours de grand beau temps, un jour laiteux puis couvert et un peu de neige. Températures –18 / - 25 avec un jour de redoux à –10 degrés.

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En remontant le Rabotbreen
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Le froid
Quittant la douceur d’une chenillette surchauffée, nous voilà déposé au pied du glacier du Rabotbreen et dès lors littéralement plongé pour une dizaine de jour dans une atmosphère pour le moins glaciale. Le thermomètre va osciller constamment entre –18 et –25 degrés, pour ne connaître qu’un jour de « redoux » à –10 degrés.

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Le froid n’a pas cette agressivité à laquelle on pourrait s’attendre de prime abord mais il s’empare malicieusement de votre corps, avec la fermeté d’une longue poignée de main qui vous écrase petit à petit le poignet et dont vous ne parvenez plus à vous défaire. Dès lors vous entrez dans le monde des condamnés, condamnés à réinventer à chaque instant ou plus encore à devenir le mouvement perpétuel. Ce mouvement salutaire producteur de calories qui vous permet de vivre, parfois survivre, étreint dans un véritable carcan. Condamné par le fait que la température ne vous laissera aucun répit, aucune pause. Le temps de s’accorder un arrêt afin de se restaurer, et encore muni de sa veste duvet, que déjà vous êtes rappelé à la marche, au montage ou au démontage du camp, à l’installation de la tente mess, ou a toute autre occupation qui active en vous le flux sanguin salutaire et source de chaleur.

Ainsi c’est peu dire qu'en groupe dans la tente mess, alors que les réchauds sont appelés à faire fondre la neige, à cuire l’eau des boissons ou servant à réhydrater les repas lyophilisés, on y trouve ici une sorte de refuge, une douceur, voire même un semblant de chaleur pour un peu que le soleil darde ses rayons sur la toile. Moments propices à l’échange, à la franche déconnade, moments conviviaux dont il s’agit de prendre la mesure, si l’on veut s’en tenir à la feuille de route.

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Le vent
Non le véritable ennemi, c’est le vent. Son agressivité sur votre corps est exponentielle en fonction de sa force et de la température ambiante.
Pour exemple, par –20 degrés et une brise de 20 km/h, la température ressentie descend à –30 degrés. Avec –25 degrés et un vent de 40 km/h, la température ressentie plonge à –40 degrés.
Et à ce titre on aura pratiquement connu un vent permanent. Relativement faible dans les fonds de vallée, il s’est montré plutôt vigoureux et même tempétueux dès que l’on a gagné de l’altitude.
Alors que l’équation :
C= MP ….. où c=chaleur et MP=mouvement perpétuel pour en produire, avec un vent de 40 km/h et –20 degrés, l’équation se résume à :
CS= MC ….. où c/s = chaleur pour survivre et où MC = Marche ou crève !

Vêtu de souliers appropriés à ces régions, de 2 couches pour le bas et de 4 couches + veste pour le haut, une cagoule, un bonnet, une capuche, masque de ski, et masque facial, il ne reste plus que la bouche exposée au grand air pour une respiration totalement libre, celle-ci ne posant étonnamment aucun problème de gelure.

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Sur le Nordmannsfonna

Coup de vent sur Nordmannsfonna
En ce 3ème jour, quittant le Rabotbreen nous remontons lentement la calotte glaciaire du Nordmannsfonna. La pente relativement douce présente quelques ressauts dont nous prenons la mesure alors que le poids de la pulka se fait ressentir plus vivement. L’air est glacial, le vent modéré d’est nous frappant heureusement de dos. Quelques brèves pauses nous permettent d’ingurgiter barres de céréales ou pâtes de fruit, sur les quelles il faut veiller à ne pas se casser les dents, tout étant congelés et donc sans grande saveur. Nous contournons gentiment le sommet d’un dôme qui va nous permettre d’entamer une longue traversée de la calotte vers le sud, où à l’image d’une grande houle se succèdent dômes et combes. Le tout sans repères et sans le moindre abri.

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Au sommet de la calotte le regard se perd à l'infini !
Le vent nous prend dès lors par le travers et dans un vague flanc de coteau les sastrugis, sortes de vagues de neige tranchantes et cassantes, façonnées par le vent, commencent à s’acharner sur nos pulkas. Les retournements de ces dernières n’épargnent bientôt plus personne, ce qui nécessite à chaque fois une débauche d’énergie pour les remettre à plat. Imperceptiblement le vent forcit d’heure en heure jusqu’au point ou la neige soulevée restreint l’horizon. On y voit bientôt plus à 50 mètres. Les pulkas se couchent inlassablement sur le flanc, mettant les nerfs à vifs et suscitant quelque coup de gueule bien intérieur, tant on ne s’entend pas avec son voisin. La situation empirant encore, notre guide décide de poser ici un campement de fortune consistant à construire un mur de neige protégeant les tentes et de monter 3 tentes dans lesquelles on vivra 3 par 3.

Par un vent aussi fort, une visibilité aussi mauvaise, l’exercice relève un peu de la gageure. Le mur de neige se comble presque aussi vite qu’on lui donne de la hauteur, et pour les tentes, il s’agit d’être aussi rapide que consciencieux et méthodiques. Pas question ici de laisser s’envoler une toile ou de se croiser les arceaux. Michael assure cela de main de maître et, tente après tente, chacun d’entre nous peut bientôt se mettre à l’abri, transit de froid et fourbu. Dans le vacarme de la toile battue par le vent, chaque équipe s’active alors à chauffer de l’eau, à avaler son lyophilisé, à consommer de la calorie tant on n’imagine pas la quantité que l’on doit en brûler par pareilles conditions. La nuit va se passer ainsi dans l’étroitesse de la toile, serrés les uns contre les autres, dans le vacarme des rafales de vent se ruant à l’assaut de nos tentes. Sentiment étrange et paradoxal de se savoir en sécurité ainsi sous une toile si dérisoire, et inquiet en même temps de pareille vulnérabilité, tant on est ici complètement exposé aux éléments. Les heures s’égrènent et le vent ne faiblira guère avant midi. Sorti de nos abris une fois les éléments quelques peu calmé, on découvre alors notre campement enfoui sous un carcan de neige, notre mur pratiquement comblé par celle-ci.

NB : Le même jour il a été mesuré jusqu’à 50 nœuds de vent à Longyearbyen (90 km/h). Sur notre position on a pu estimer un vent établi à 60 km/h avec des pointes entre 70 et 80 km/h. Pour une température de - 20 à ce moment là, la température ressentie oscillait donc entre - 35 et - 40 ° C…).

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Camp de fortune après le coup de vent

Le voyage intérieur
Pareillement équipé, vous devenez tel le scaphandrier, un peu sourd au monde, le vent vous imposant de vous coller à votre voisin pour échanger quelques mots. Champ visuel restreint, vous marchez et tractez votre pulka tel un automate, fixant le cul de la pulka qui vous précède. Imperceptiblement vous quittez votre corps et c’est votre âme qui s’empare de vous, la beauté des paysages, l’aridité et l’hostilité des lieux vous donne cette sensation étrange d’un voyage extraordinaire, intemporel. Déjà votre regard vole de calottes en calottes, court la banquise, contourne le cap, s’enfuit plus loin et plus loin encore, vous courrez à l’infini. Libres… vous être libres !!!
C'est si simple de voler !

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Hostilité extérieure - Repli intérieur
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L’ours polaire (Ursus maritimus !)
Se rendre au Spitzberg, c’est évidemment s’exposer à la rencontre de l’ours polaire. Si le risque est pratiquement inexistant à l’intérieur des terres ou sur les calottes glaciaire (quelques individus égarés ou en transit parfois), il n’en va pas de même sur les côtes, ceci étant d’autant plus vrai si l’on chemine sur la banquise, terrain de prédilection de l’ours pour la chasse aux phoques.

En se rendant sur la banquise de la cote Est, le risque on le connaît et si la rencontre avec cet animal emblématique on l’espère au fond de nous, il ne demeure pas moins que la crainte nous habite, tant il est vrai que sur ces territoires isolés, munis de nos pauvres skis et d’une arme somme toute dérisoire, on se sent vraiment démuni. Ajoutons-y la précarité de notre campement, blotti dans notre enclos entouré du « fil à ours », alarme en cas d’intrusion inattendue du prédateur. Expérience faite sur son fonctionnement plutôt aléatoire, comment réagir alors en cas d’alarme face à l’ours reniflant votre toile !!! Même par –25 degrés, il ne doit guère être simple de garder son sang froid.

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Si la chance ne nous a pas souri, en revanche elle nous a permis de vivre des bivouacs et des nuits sereines, sans la nécessité d’ajouter à notre précarité de vie, des tours de garde nocturnes.

Et pourtant « la bête » n’était pas loin, croisée un peu plus au nord par un autre groupe (une mère et son ourson) les contraignant à une attention accrue et aux tours de garde. Par ailleurs, alors que nous croisions sur la banquise, une vingtaine de kilomètres plus au sud, à bord du voilier « Vagabond », le skipper découvrait un ours couché à côté d’un de leur chien qu’il venait de dévorer.

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Raid sur la banquise
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Conquête éphémère - Dans 2 mois tout ne sera qu'eau et paysage marin !

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Paysage lunaire au passage d'un col
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Marche sur l'eau !l
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Rencontre avec l'ursus maritimus manu tricotus - Cousin totalement inoffensif de l'ours polaire!l


Nous tenons à remercier "Labelude" pour ce récit d'aventure.
Organisation : Terres Oubliées.
Guide : Michael Charavin.


Photos et Textes : Luc Decrey http://mermontagne.blogspot.comRaid réalisé du 12 au 24 avril 2009

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