Portrait : Michael Charavin, l'homme des terres oubliées

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Régis Cahn

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On ne présente plus Michael Charavin (auteur, au mois de mai 2008, d'une traversée sud-nord de la calotte glaciaire du Groenland - 2250 km en kite et ski-pulka – ou encore d'une traversée sud-nord de la Scandinavie en ski de randonnée nordique lors de l'hiver 2000). Cet aventurier est aussi un guide professionnel, spécialiste des milieux polaires.

Entres ses expéditions, il accompagne ceux que l'aventure du Grand Nord tente. L’été, il encadre trekkings et séjours en kayak de mer, tandis que l’hiver, les raids à skis le transportent vers les neiges nordiques…

Nous avons rencontré cet accompagnateur, passionné des régions froides au caractère inhospitalier. Il revient ici sur ses activités personnelles et sur son métier de guide polaire, au travers de ses récentes escapades nordiques. Un même territoire, donc, pour deux pratiques parallèles mais dissemblables : les expéditions personnelles et engagées ; et l'encadrement de séjours de découverte et d'exploration qu'il exerce dans le cadre de l'agence Terres Oubliées.

Il évoque d'ailleurs un des raids à ski nordique qu'il guide en Norvège. En février 2008, au cœur de l’hiver scandinave, Mika a accompagné un petit groupe de 4 personnes sur les plateaux du Setesdalsheiene, le massif montagneux le plus méridional de Norvège. Egalement un des plus propices au ski nordique puisque c'est à quelques dizaines de kilomètres de là que cette pratique est née (dans la province du Telemark)…
Une initiation au raid à ski avec le confort des refuges norvégiens…

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Interview de Michael Charavin :

SRN : en février 2008, tu es parti avec Terres Oubliées pour accompagner des clients en Norvège. Peux-tu nous en dire plus sur ce raid nordique ?

Mika : je précise tout d'abord que je suis travailleur indépendant mais que je collabore activement avec l'agence Terres Oubliées pour laquelle je guide un nombre important de séjours dans les territoires du Grand Nord. Notre collaboration date de 5 ans et fonctionne sur un principe qui nous est cher : « l'exploration » de territoires isolés, peu ou pas fréquentés.

Le séjour dont tu fais mention est un raid à ski nordique que j'ai monté, il y a 2 ans et guidé pour la première fois en février 2008. Sous sa forme « initiation ». Il existe aussi une version plus sportive et plus engagée de ce séjour dans ce massif du Setesdal : sa traversée intégrale… Cette fois-ci, l'objectif du séjour était de découvrir le raid à ski-pulka, en semi-itinérance, sur la partie nord de ce très beau massif.

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SRN : peux-tu nous décrire le Setesdal ? Est-ce un massif particulier… Ressemble-t-il au grand frère Hardangervidda ?

Mika : le choix d'un tel itinéraire, sur les plateaux du Setesdal, découle d'une très longue traversée réalisée à ski il y a presque 10 ans à travers toutes les montagnes de Scandinavie . Et bien que méconnu, ce massif s’est avéré être l'un des plus sauvages des massifs traversés.
Situé en bordure méridionale de son fameux voisin le Hardangervidda, il est un poil plus montagneux et accidenté. Il est aussi plus varié car il est situé très près des grands fjords de l'ouest. Si on progresse majoritairement sur des plateaux au-dessus de 1000 mètres d'altitude, on descend parfois aussi dans de profondes vallées boisées de bouleaux et de pins… Un must sur cet itinéraire : le réseau de refuges non gardés, merveilleusement confortables et plus petits (donc plus agréables) que ceux du plateau du Hardanger.
C’est dans ce cadre on ne peut plus nordique que les clients de Terres Oubliées font l’apprentissage du ski nordique.

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SRN : quelles sont les atmosphères ?

Mika : comme dans le Hardanger, la proximité de l'Océan Atlantique assure un enneigement important de ce massif. Les hauteurs de neige sont en général considérables et sont à l'origine de paysages hivernaux tels qu'on ne peut les imaginer en France ! Le vent dessine des corniches innombrables et incroyablement grosses. Le jour blanc et la tempête ne sont ici pas des vains mots…
Moins facilement accessible que le Hardanger, il est aussi nettement moins parcouru. Le sentiment d'isolement en est que plus fort !

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SRN : et au niveau des refuges ?

Mika : là encore, le dépaysement est total en comparaison de nos refuges alpins. Les refuges du Setesdal sont comme tous les refuges norvégiens : choyés par leurs occupants temporaires. Ici, le vandalisme n'existe pas et permet donc un confort incomparable, incroyable même aux yeux d'un Français… : nourriture disponible et achetable, poêles à bois… et bois, couettes,… l'ambiance est presque « cosy »…

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SRN : et l’ambiance du groupe ?

Mika : Terres Oubliées limite ses groupes à 8 participants, parfois à 5 sur des itinéraires engagés. L'ambiance est donc le plus souvent "intimiste" et propice à la réalisation d'itinéraires "hors normes". Les participants ont le sentiment de vivre une expérience intense et privilégiée.

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SRN : au sud de la Norvège, te considères-tu déjà dans le Grand Nord ?

Mika : complètement ! Même si on est à moins de 60° de latitude et si les températures ne sont pas véritablement froides, en revanche les conditions météos peuvent y être extrêmes (le « white out » est régulier et les tempêtes ne sont pas rares) !

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SRN : les personnes qui s’inscrivent dans un voyage Terres Oubliés sont-ils des férus de neige ? Quelles sont leurs motivations ?

Mika : beaucoup n'ont pas l'expérience du raid hivernal (la grande majorité des participants ne sont pas à proprement parler des férus de neige) mais ils souhaitent réellement faire cette découverte. C'est pour eux l'occasion de franchir une "porte" qu'ils ne se sentent pas d'ouvrir seuls… Que ce soit en Norvège comme au Groenland, l'univers qu'ils découvrent dans ces pays apporte un total dépaysement et la sensation de vivre une expérience unique et privilégiée…

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SRN : quel est le profil des personnes s’inscrivant sur un séjour « ski de rando nordique » ?

Mika : ce sont des « actifs » et sportifs plus ou moins confirmés. Les séjours initiations exigent déjà quelques qualités physiques : il faut en effet pouvoir tracter une pulka et apprécier d'être dehors par tous les temps… En revanche, le niveau de ski demandé est basique : toute personne sachant dévaler une piste bleue en ski alpin, pour donner un exemple concret, sera apte à se débrouiller avec une paire de ski de randonnée nordique…

Les personnes qui partent sur des séjours plus difficiles (la traversée du Setesdal, ou un raid à ski en autonomie sur la côte est du Groenland) ont généralement une pratique sportive très régulière. Le niveau à ski demandé n'est pas plus élevé. En revanche, les étapes étant plus soutenues, il est nécessaire d'avoir une bonne condition physique. Il faut pouvoir enchainer des étapes de 5 à 8 heures de ski chaque jour, et ce, quelles que soient les conditions climatiques.

Dans le cas de la traversée intégrale du Setesdal, nous demandons à nos clients une expérience préalable de l'autonomie : cela peut être la réalisation de raids accompagnés et non assistés en Himalaya, la traversée de la Corse par le GR 20 sans encadrement, la pratique régulière du ski de randonnée (nordique ou alpine) en France, en raid ou à la journée, ou encore la pratique très régulière du footing ou du ski de fond…
C’est cette expérience préalable en raid non assisté qui leur permettra d'apprécier pleinement le caractère sauvage et isolé des régions traversées…

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SRN : en groupe, est-ce que l'ouverture sur les autochtones est possible ?

Mika : oui, à condition que le groupe soit petit (4-5 participants).
Ceci dit, cela dépend aussi de la curiosité des autochtones vis-à-vis des visiteurs. En Norvège, le mode de vie est très proche du nôtre. Il n'y a donc qu'une curiosité relative des Norvégiens pour les Français. Ceci dit, le partage d'un refuge est toujours un moment privilégié pour la rencontre…
Mais cet échange avec la population locale se fera d'autant mieux au Groenland par exemple…

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SRN : quel est ton regard sur le groupe que tu accompagnes ?

Mika : la grande majorité des séjours que j'encadre, pour Terres Oubliées, sont des séjours sportifs, dits d' « exploration ». Ils exigent des participants un réel goût pour l'effort et pour la découverte, ainsi qu'une certaine capacité à accepter l'inconfort (il arrive que l'on skie toute une journée sans que l'on voit bien plus loin que le bout de ses spatules…).
Cela sous-entend que les clients arrivent sur ce genre de séjour avec une bonne motivation et déjà une certaine autonomie et une habitude à gérer leur personne et leurs efforts. C’est primordial dans la mesure où je dois, de mon côté, me consacrer pleinement à l’itinéraire et à la sécurité du groupe…

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SRN : est-ce que la notion d’engagement existe dans ce type de raid initiatique ?

Mika : l'engagement est évidemment moins fort dans un séjour d'initiation que lors d'une traversée complète. Mais dans tous les cas, l'isolement est certain (il ne doit rien vous arriver de fâcheux car vous êtes loin de tout…). Quant aux possibilités d'arrêter son séjour, elles sont nulles une fois partis… Dans tous les cas aussi, les conditions météo ou nivologiques peuvent être rudes…
Lors d'une traversée, le temps disponible n'étant pas élastique, l'engagement peut devenir réel : il y a un impératif à progresser et boucler les étapes !

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SRN : est-ce qu’à l’inverse la traversée entière du massif du Setesdal est faisable par tout un chacun ?

Mika : pour des personnes qui souhaitent vivre cette aventure sans encadrement, alors une solide expérience du raid en conditions hivernales est absolument nécessaire : il faut savoir s'orienter et progresser sereinement par tous les temps, avoir une marge de manœuvre suffisante pour limiter les risques et boucler les étapes quelles que soient les conditions…

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SRN : lorsque tu accompagnes un groupe, te sens-tu au travail ? Considères-tu ça comme de l'entrainement pour tes futurs expés ?

Mika : question intéressante… Je ne suis pas certains que mes clients aient, à priori, la même réponse que moi. Mais oui, affirmatif à 100 % ! Je me sens totalement au travail : mes choix ne sont pas faits pour satisfaire mes propres envies mais pour assurer en priorité le bon déroulement d'un séjour, la satisfaction et la sécurité du groupe encadré. Les contraintes (météo, reliefs, risques propres au terrain) des milieux traversés sont suffisamment présentes pour exiger un état de vigilance élevé et permanent. Le stress induit, bien que non communiqué aux clients, est réel. Je ne suis définitivement pas en vacances !
Ceci-dit, le fait d'emmener les gens là où ils n'iraient pas tout seuls, de découvrir, moi aussi, de nouveaux horizons, de nouveaux itinéraires, de surmonter les difficultés rencontrées, est tout de même source de satisfaction personnelle. Cette satisfaction s'appuie sur une curiosité géographique : si cette dernière est alimentée, je suis un guide heureux !
Je ne considère pas les séjours que j'encadre comme un entrainement à mes futures expés, mais plutôt comme une façon enrichissante (en général) de gagner ma vie. En fait, mes guidages se nourrissent certainement davantage de mes expéditions que le contraire : le savoir-faire acquis dans des situations extrêmes, parfois rencontrées en expédition, me permet d'encadrer des séjours organisés dans des régions isolées avec une marge de sécurité notoire.

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SRN : comment fais-tu la transition entre raids avec tes amis et ta mission d'accompagnement chez Terres Oubliées ?

Mika : j'ai toujours considéré qu'il ne fallait pas mélanger les genres. Je ne cherche évidemment pas à vivre les mêmes choses dans une expé et lors d’un guidage. Je ne cherche absolument pas mes propres limites lorsque j’encadre…

Une véritable expédition nécessite un engagement total sur les plans physique, mental, financier et une grande disponibilité de chaque participant… Pour un résultat qui reste incertain. A contrario, un séjour organisé, même s'il peut être un peu aventureux, regroupe des personnes qui souhaitent s'impliquer de façon très temporaire, pendant leur temps de congés. L'objectif fixé doit être esthétique mais ne peut se permettre d'être trop hasardeux et extrême.
Ces deux activités (expéditions & guidage), si elles peuvent sembler assez similaires, sont donc très différentes en réalité…

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SRN : tu as l'habitude de partir en expéditions engagées au Groenland ou ailleurs. Quelles sont tes motivations ?

Mika : toutes mes expés et grands voyages se sont construits autour du souhait d'une imprégnation maximale au sein des environnements traversés : l'autonomie, la durée, la simplicité des moyens employés, la sobriété des objectifs fixés (avancer dans une direction donnée), la logique et l'ampleur d'un itinéraire, la rigueur des conditions climatiques ou environnementales rencontrées, l’harmonie qui nait entre le corps et les lieux traversés sont les fils rouges de mes différentes aventures. Tous ces éléments étant au service d'une recherche : vivre intensément, dans l’action. Dans l'instant présent. Je ne cherche à défendre aucune cause particulière (moins par désintérêt que par honnêteté intellectuelle…) sinon celle de l’Aventure comme but en soi.

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SRN : en qualité de guide polaire et accompagnateur en moyenne montagne, quelle différence fais-tu entre l'accompagnement dans les Alpes et celui en Norvège ?

Mika : je suis issu du milieu accompagnateur en montagne, profession où le "savoir-animer" un groupe est prioritaire sur des notions plus techniques de guidage. Dans le Grand Nord, je considère ma "mission" différemment : la priorité va clairement au guidage : je suis là avant tout pour trouver le chemin le plus esthétique possible tout en assurant une progression régulière et une sécurité maximale.

Le "crédo" des séjours que j'encadre pour Terres Oubliées est le suivant : aller dans des coins très peu ou pas du tout visités par d'autres Tours Opérateurs. Favoriser les raids en autonomie totale et accepter les contraintes qui y sont liées : le poids de l'équipement nécessaire. C'est le 1er prix à payer pour vivre une aventure authentique dans des régions réellement isolées.

Le second est d'accepter une part d'inconnu… Souvent, je ne connais qu’une partie de l'itinéraire fixé. Parfois même, je ne le connais pas du tout. Mais je n’ai aucune gêne par rapport à cela (même si le stress induit est nettement plus important). Si le client accepte cela, s'il comprend le sens et l'intérêt d'un tel postulat, d’une telle démarche, alors cela signifie qu'il est prêt à vivre une aventure. C'est ce que je cherche à développer lorsque je guide un séjour dit « engagé ». C’est la meilleure garantie de ne pas proposer un séjour « formaté »… La plupart des participants qui s'inscrivent sur ce type de séjour vivent alors un moment authentique.

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SRN : peux-tu nous en dire un peu plus sur tes futurs projets professionnels et personnels ?

Mika : sur le plan professionnel : je pars dans quelques jours guider un séjour à ski-pulka sur la côte est du Groenland, dans la très belle région du Liverpool Land. Toujours pour le compte de Terres Oubliées. Une dizaine de jours en autonomie entre parois granitiques et fjords, entre glaciers, banquise et icebergs… Au pays de l’ours blanc… Un secteur fabuleux, resté – pour l’instant – à l’écart des « chemins » touristiques.

Toujours sur le plan professionnel, nous avons décidé avec Terres Oubliées de proposer, dans les 5 années à venir, un cycle de véritables petites expéditions à ski nordique. L’idée étant de réaliser chaque année un itinéraire différent, un peu ambitieux, qui permette à nos clients les plus motivés de s’inscrire dans une démarche de type « expédition ». Nous réfléchissons actuellement à un programme qui concentrerait quelques unes des plus belles destinations que le ski nordique peut offrir… Ce cycle doit débuter au printemps 2010 et la première expé se déroulera dans la partie Nord du Spitzberg…

A titre perso, je ressens le besoin de marquer une pause après les deux années que je viens de consacrer à l’expédition « Wings over Greenland » (la traversée sud-nord du Groenland en kite-ski). Les gens ne s’en rendent certainement pas compte mais la réussite d’une grosse expé tient majoritairement de sa préparation… Et c’est un boulot exigeant et fastidieux !
Ceci dit, je pense que la traversée effectuée au Groenland est peut-être moins un aboutissement qu’une nouvelle porte ouverte vers des traversées encore plus longues… Tu vas me dire qu’il ne reste pas 36 possibilités… Je laisse mûrir ces envies… On verra…

En attendant, avec Cornelius (un de mes deux coéquipier au Groenland), on commence à penser un peu plus précisément à une « opération coup de poing » en Islande : un traversée « éclair » (en quelques jours) de l’île en kite-ski. Le kite autorise une progression rapide sur des centaines de kilomètres. En choisissant un bon créneau météo, il existe peut-être un moyen de « rider » l’Islande en un temps inédit… Inch Allah !


Nous remercions Mikael Charavin de s’être prêté au jeu de l’interview et de nous avoir offert ces belles photos d’ambiances…
Crédits photos : Copyright - Michael Charavin

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